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fâcheux. — « Ce sont, dit-on, des droits progressifs sur la misère. » — « Le pauvre y contribue, non en raison de ses ressources, mais de ses besoins. »

Nous avons déjà exposé ces considération s à propos de la capitation et de l’impôt progressif. Mais s’il est vrai que la capacité de l’homme, riche ou pauvre, soit limitée à un maximum déterminé en pain, sel, viande, etc., il importe d’observer que chez l’homme riche, par gaspillage ou par raffinement, les quantités employées pour la confection d’une même ration sont beaucoup plus considérables que ne le comporte le strict nécessaire. En outre, le même homme riche nourrit toujours à sa suite une clientèle nombreuse. Ces faits ont été remarquablement mis en lumière par M. Paul Leroy-Beau lieu dans son Traité de la science des finances. Il en résulte que, même pour ces sortes de consommations égales en apparence, la proportionnalité se trouve beaucoup moins violée qu’on ne le suppose habituellement.

L’argument de la progressivité à rebours perd donc, comme on le voit, une partie de la rigueur que les anciens économistes avaient coutume de lui attribuer. Cela n’infirme en rien, d’ailleurs, la condamnation prononcée contre les impôts sur les objets de première nécessité. Seulement, cette condamnation ressort beaucoup plus logiquement, à notre avis, des premiers arguments que des seconds.

En même temps que les théoriciens s’accordent, pour des motifs différents, à répudier les impôts sur les consommations de première nécessité, on voit pratiquement la plupart des États modernes s’efforcer de les éliminer de leur système fiscal. L’Italie, à la suite de la constitution de son unité, avait cru nécessaire, pour l’équilibre de son budget, de créer un droit sur la mouture, c’est-à-dire sur la conversion du blé en farine, en un mot, sur le pain. Ce droit, comme tous les droits à large base, produisit un revenu considérable, 83 millions par an, dont il semblait que les finances italiennes ne pourraient plus se passer. Cependant, en présence de violentes attaques des partis politiques et de la population, la Chambre des députés n’hésita pas à le sacrifier dès 1878. Le Sénat, après quelques hésitations, se rangea à l’avis itérativement exprimé par les députés et, à partir du i cr janvier 1884, l’impôt sur la mouture a été définitivement rayé du budget des recettes de l’Italie.

De même, enPrusse, subsistèrent jusqu’en Î873 des taxes sur la mouture et sur Taba-

IMPOT

tage, c’est-à-dire sur le pain et la viande. Établies en 1820, elles avaient constamment suscité de vives protestations et déjà les idées libérales propagées en 1848 leur avaient porté une première atteinte. Cantonnées alors dans 132 villes seulement, puis dans 87 à la suite de la réforme de 1850, elles ont enfin complètement disparu, comme nous le disions, en 1873.

L’impôt sur le selaété aboli en Angleterre depuis 1825, aux États-Unis depuis 1868, en Belgique depuis 1870, en Russie depuis 1880, en Portugal depuis 1886. Voilà cinq pays, importants qui, définitivement, sans esprit de retour, sauf peut-être le Portugal, ont renoncé à taxer cette denrée de première nécessité. En Prusse, le monopole a été remplacé à partir de 1867 par une taxe moins lourde, perçue aujourd’hui au profit de l’empire. En France, l’ancien tarif de f ,30 par kilogramme, en vigueur de 1816 à 1848, est aujourd’hui réduit à 10 centimes. Les grandes réformes accomplies en Angleterre de 1842 à 1846, sous l’administration de Robert Peel, sont particulièrement significatives au point de vue qui nous occupe. Ces réformes germaient depuis longtemps dans les esprits ; dès avant 1830, Huskïsson (voy. ce mot) disait : « Examinez votre excise et vos douanes, les trois quarts du revenu provenant de ces deux sources sont fournies par des articles nécessaires à l’alimentation, à l’habillement, ou aux humbles conforts de l’ouvrier. »

Sir Henry Parnell, dans un ouvrage alors très répandu, continua de propager ces idées après 1830 : « Ce qu’il y a d’assuré, écrivait-il, c’est que certains impôts qui portent sur les matières premières et d’autres qui pèsent d’une manière trop forte sur les principaux articles de consommation, le tout ensemble produisant un revenu net de 275 millions de francs, sont aussi préjudiciables que des impôts peuvent l’être. » Sous cette inspiration, le ministère whig ajouta quelques revisions libérales de tarif à celles déjà réalisées par Huskisson.

Mais ce n’étaient là que des avant-coureurs des projets que Robert Peel put enfin mettre à exécution de 1842 à 1846. Sans entrer dans le détail de ces faits historiques, il suffit de rappeler que plus de sept cents droits de douane et d’excisé, frappant les matières premières et les consommations de premièro nécessité furent dégrevés ou supprimés et qu’à leur place fut établi un impôt sur la propriété, Yincome-tax, comportant à sa base l’exemption complète des faibles revenus. Puis, quelques années après, les droits sur les grains, les corn-law, véritables taxes sur