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OWEN

OWEN

en sera, assurait Owen, « le règne de la bienveillance, l’éclosion de la loi des caractères et des intérêts ».

Tout cela était bien vague et peu fait pour séduire les esprits amis de la netteté. Et cependant, à la différence de presque tous les réformateurs, Owen avait derrière lui une expérience personnelle et un succès incontesté. Il n’est pas téméraire d’affirmer que s’il se fût contenté d’écrire tout simplement, et en détail, l’histoire des voies et moyens qui lui avaient si bien réussi à New-Lanark pour changer des bètes féroces en êtres sociables et bons, ce livre l’eût immortalisé et peut-être eût servi de guide pour l’établissement et le succès de nombreuses colonies industrielles. Au lieu de cela, dans tous ses écrits, Owen s’en est tenu à des exposés de principes, à des généralités de haut vol. On en a eu une nouvelle preuve dans ses deux Adresses aux représentants de la sainte alliance réunis en congrès à Aix-la-Chapelle, en 4819, En quelques pages retentissantes, il insiste complaisamment sur tous les biens sociaux que l’application de son système devait produire, sans dire précisément quel il est. Il demande qu’on le lui laisse mettre à répreuve, sous sa direction ; ou tout au moins, si l’on ne veut pas s’en rapporter à lui, qu’on institue une grande commission internationale devant laquelle il dira tout* Le Congrès, comme on le pense bien, passa outre et le système, en tant que corps de système ou de doctrine, ne fut point révélé.

On trouve cependant quelques détails tyipiques de l’organisation rationnelle d’une colonie, système Owen, dans son livre intitulé : Outline of the rationcâ System (Plan du système rationnel).

« Dans la communauté, dit-il, l’éducation est pour tous invariablement la même. Elle est dirigée de manière à ne faire éclore que des .sentiments vrais et libres dans leur émission, conformes aux lois évidentes de notre nature. Par conséquent, la propriété individuelle y devient inutile. Tout signe représentatif -d’une richesse personnelle est aboli. La communauté remplace la famille. Chaque colonie de deux à trois mille âmes alimente les industries combinées, agricoles et manufacturières de manière à pourvoir elle-même à ses besoins. Les diverses communautés se lient entre elles et forment un congrès. Dans la communauté, il n’y a qu’une seule hiérarchie, celle des fonctions, et c’est l’âge qui les détermine. Jusqu’à quinze ans, on est dans le cercle de l’éducation. L’adulte prend rang parmi les travailleurs. Les agents les plus actifs de la production sont les jeunes hommes de vingt à vingt-cinq ans ; de vignf,-cinq à trente, ils ont le rôle de distributeurs et de conservateurs de la richesse commune. De trente à quarante ans, les hommes pourvoient aux mouvements intérieurs (sans doute la production, la constitution de la famille) de la communauté. De quarante à soixante ans, ils règlent les rapports avec les communautés environnantes. Enfin, un conseil de gouvernement préside tout cet ensemble naturel, moral et intellectuel. »

Comme exposé de système c’est encore fort incomplet. Au surplus, on chercherait vainement dans les écrits d’Owen des indications moins vagues. Pour trouver quelque chose de plus net, il faut se reporter aux ouvrages de deux écrivains français, dont l’un 1 , approuve le système et l’autre 2 le critique. D’après ces deux ouvrages, où nécessairement les auteurs ont exposé avec quelque complaisance leurs idées personnelles, voici en quelques mots la doctrine sociale d’Owen : Égalité absolue des conditions ; abolition de la propriété ; suppression du commerce par intermédiaires et de la monnaie valeur représentative ; échange direct des produits contre les produits, éducation universelle, obligatoire et gratuite ; liberté dans le mariage ; enfiD, suppression des juges, des avocats, des huissiers et des prisons.

En économie politique, Owen a eu des idées assez conformes aux principes de cette science. Toutefois ce philanthrope était doublé d’un pessimiste qui, dans sa vision, parfois juste, des choses, était surtout frappé des conséquences les moins agréables. C’est ainsi que dès 1811, dans sa seconde Adress aux représentants de l’Europe, démontrant, par des chiffres que, de 1792 à 1817, les découvertes d’Arkwright et de Watt avaient augmenté de douze fois la puissance productive de la Grande-Bretagne, il insistait surtout sur ceci, qu’il n’en était résulté qu’une plus grande misère pour les travailleurs : « Le chiffre le plus probant, disait-il, est celui de la taxe des pauvres, qui depuis n’a fait que s’accroître », et il ajoutait que cette misère ne pouvait aller qu’en s’aggravant à mesure que les forces mécaniques se substitueraient davantage à l’action de l’homme. Pour sortir de cette voie fatale, il ne voyait qu’un moyen : renoncer aux grands centres manufacturiers et les remplacer par de petits centres industriels et agricoles de 1800 à 2000 personnes, tracés d’après les méthodes qui lui avaient si bien réussi à New-Lanark. Il signa-’ 1. Joseph Rey, Lettres sur le système de coopération mutuelle et de la communauté de biens d’après le plan d’Owen 1828.

2. Louis Reybaud, Études sur tes ré formateurs t 1864.