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OFFICES (Vénalité des) — 412 — OFFICES (Vénalité des) contestable et on en vint à transformer en offices jusqu’à des professions industrielles ou commerciales : c’est ainsi qu’on vit, sous le règne de Louis XIV, des officiers jaugcurs de vin, compteurs de foin, regrattiers, vendeurs de sel, porteurs de chaux et boiseurs de pierre, cordeurs de bois, contrôleurs de charbon, barbiers-perruquiers, etc. Tout métier devint office et il se trouvait toujours quelqu’un pour l’acheter, si bien que le contrôleur général Dcsmarets pouvait dire à Louis XIV qui hésitait à créer de nouveaux offices d’une parfaite inutilité : « Votre Majesté ignore une des plus belles prérogatives des rois de France, qui est que, lorsqu’un roi crée une charge, Dieu crée à l’instant un sot pour Tacheter ».

La vénalité des offices devait nécessairement entraîner leur hérédité : les officiers pouvaient vendre la charge qu’ils avaient achetée ; il était logique qu’ils pussent également la transmettre à leurs héritiers. Aussi l’hérédité était-elle déjà reconnue, en fait, dès le milieu du xv e siècle, sous le nom de survivance : elle fut définitivement établie au mois de décembre 1604. Un arrêt du conseil en date du 7 de ce mois et une déclaration royale du 12 décidèrent que tous les offices seraient à l’avenir héréditaires moyennant le payement d’un droit annuel équivalent au soixantième de leur revenu et que les veuves et héritiers des titulaires pourraient les céder eux-mêmes à prix d’argent : ce droit s’appela Paillette, du nom de Charles Paulet, trésorier de la chambre du roi, qui en fut l’inventeur et le premier fermier.

Rien ne choque davantage nos idées modernes que ce droit d’exercer des fonctions publiques à beaux deniers comptants. Il choqua tout autant les contemporains, surtout en ce qui concerne les offices de judicature.

Au xvi e siècle, L’Hospital, Montaigne, Charron, Pasquier, protestaient déjà contre « cette prostitution de la justice à l’argent ». Au xvn e siècle, Lo vseau écrit son Traité classique du droit des offices pour combattre la vénalité des charges qu’il qualifie d’institution contraire à la raison ; et à chaque page, pour ainsi dire, il en signale les funestes conséquences : la multiplicité des offices qui n’a d’autre limite que les besoins sans cesse grandissants de la royauté, l’attribution des charges à des incapables qui « au lieu de faire provision de savoir, bonne réputation et autres qualités, se sont étudiés uniquement à faire amas d’or et d’argent », et enfin le renchérissement des frais de justice provenant de ce que les juges « ayant chèrement acheté leur office en gros le revendent chèrement en détail, aux dépens du pauvre peuple qui porte toujours la peine de ces fols marchés ».

Si fondées que paraissent ces critiques, il faut cependant reconnaître que le système contre lequel elles étaient dirigées produisit à certains égards d’heureux résultats. Outre que ce système, avec tous ses inconvénients, valait encore mieux que le régime de la faveur auquel il avait succédé, il eut de plus pour conséquence immédiate d’assurer pendant plusieurs siècles l’indépendance de la magistrature vis-à-vis de la royauté. « La plupart de ces parlementaires, dit un historien contemporain, malgré le vice originel dont leur institution était entachée, non seulement honorèrent leur ministère, mais, par leur fermeté, leur amour du bien public, rendirent les plus grands services à l’État. Il se forma, dans ce milieu un peu froid et austère, des dynasties de magistrats se transmettant leur charge de père en fils, habitués dès l’enfance au sérieux, à l’application d’esprit, au travail qu’exigeaient les fonctions auxquelles ils se savaient appelés, qui avaient le goût de leur profession, l’amour de leur indépendance qui était aussi celui de la justice, et en qui une hérédité de vertus justifiait des caractères mâles, vigoureux, capables de pousser jusqu’au sacrifice le sentiment du devoir. L’ancien régime n’a rien fourni de plus honorable et de plus grand que sa magistrature. i »

La vénalité des offices contribua ainsi puissamment au développement et à la grandeur du tiers état. Le haut prix que les charges atteignaient en avait écarté les nobles qui étaient ou trop pauvres, ou grevés de substitutions : et comme un grand nombre d’offices conféraient la noblesse, il était sorti du tiers état une noblesse de robe qui puisait son indépendance dans la fortune et dans le droit héréditaire dont elle était investie et qui se posait comme l’égale de la noblesse d’épée. C’est cette noblesse d’épée qui, lors de la réunion des états généraux de 1789, protesta le plus vivement contre la vénalité et Ph crédité des offices : déjà, aux états généraux de 4614, elle attaquait la vénalité en se fondant sur ce que, avec un tel système, les charges allaient tomber en démocratie. Telle fut, jusqu’en 1789, la propriété des offices, institution singulière qui rendait transmissible par vente ou par succession les fonctions publiques, comme s’il s’agissait d’un fond de terre ou d’une maison, mais qui eut du moins le mérite de rendre la magistrature indépendante et de préparer le li Gasquet, Institutions politiques de l’ancienne Francu. t, i f p. 5ÎΠ?,