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NECKER

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NECKER

trois séries d’assemblées municipales, provinciales et nationale. Necker se borna à préparer l’institution, dans quelques provinces, d’assemblées consultatives qui devaient faire, en présence de commissaires du roi, ce que faisaient les intendants ou les commissaires départis, c’est-à-dire répartir les impôts, en faire la levée et diriger la confection des grands chemins, ainsi que les ateliers de charité. Deux assemblées seulement se réunirent ; elles furent présidées par des archevêques ; leurs membres furent désignés par le gouvernement et choisis de manière que le nombre des bourgeois des villes et des propriétaires n’y dépassât pas celui des ecclésiastiques et des gentilshommes. Aussi Turgot écrivit-il à Du Pont de Nemours : « Cela ressemble à mes idées sur les municipalités comme un moulin à vent ressemble à la lune ».

Il paraît probable que Necker espérait, avec le semblant d’émancipation qui serait résulté de la création des assemblées provinciales, se passer d’états généraux et arriver à la suppression des états provinciaux partout où cette institution s’était maintenue. Les aspirations libérales de Necker étaient alors très modérées : « C’est le pouvoir d’imposer, disait-il au roi, qui constitue essentiellement la grandeur souveraine ». S’il avait attiré à lui l’opinion, c’était surtout par le ton sentimental de ses écrits, par la régularité de sa vie privée et par l’éclat de sa générosité. En entrant au ministère, il avait refusé tout traitement ; en d’autres circonstances, il avait avancé ou donné des sommes importantes pour des objets de bienfaisance ; il avait fondé le mont-de-piété et s’était occupé avec beaucoup de soin de réformer les hôpitaux, notamment l’Hôtel-Dieu de Paris ; tout cela, il l’avait fait avec apparat : « Les vertus, disait-il, ont besoin d’un théâtre et il est essentiel que l’opinion publique excite les acteurs. »

Une craignait pas, d’ailleurs, de provoquer lui-même les occasions des excitations nécessaires à son génie. Dans le Compte rendu au roi, fait au commencement de 1781 et livré aussitôt au public, il s’exprima ainsi : « Qu’il me soit permis, Sire, d’indiquer sans la nommer une personne douée des plus rares vertus et qui m’a tant aidé à remplir les vues de Votre Majesté ; et tandis qu’au milieu des vanités des grandes places, ce nom ne vous a jamais été prononcé, il est juste que vous sachiez, Sire, qu’il est connu et souvent invoqué dans les asiles les plus obscurs de l’humanité souffrante. Il est précieux pour un ministre des finances d’avoir pu trouver dans la compagne de sa vie un secours pour tant de détails de bienfaisance et de charité qui échappent à son attention et à ses forces ». La popularité de Necker était assez grande pour que ce dithyrambe n’ait pas rendu son ouvrage ridicule. Le Compte rendu eut, au contraire, un succès prodigieux. Dressé dans le but « d’appeler le peuple à la connaissance et à l’examen de l’administration publique et de faire pour la première fois des affaires de l’Étatune chose commune», il présentait la situation financière sous un jour éminemment favorable et mettait soigneusement en relief les services du directeur général ; l’effet en fut considérable ; le crédit, ébranlé à ce moment, fut rétabli et le succès d’un emprunt de. 236 millions assuré. Depuis quelque temps déjà la position inférieure que le directeur général occupait dans le gouvernement ne lui paraissait plus en rapport avec ses capacités et avec la confiance que lui témoignait la nation. Dans le cours de l’année 1780, comme il s’était aperçu que des dépenses importantes étaient faites par le ministre de la marine, Sartine, au delà des crédits mis à sa disposition, il avait obtenu de Louis XVI le renvoi de ce ministre et, profitant d’une maladie de Maurepas,il l’avait fait remplacer par le maréchal de Castries, sans s’être entendu avec le chef du cabinet (14 octobre 1780). Celui-ci se vengea en favorisant l’opposition qui commençait à gronder contre Necker. Le clergé reprochait au directeur général sa religion, la cour ne lui pardonnait ni ses tentatives d’économie, ni sa popularité ; les intendants et les parlements voyaient en lui un ennemi déclaré : les changements apportés dans le personnel des finances avaient fait supposer chez Necker la pensée de détruire l’ancienne magistrature et la publication de son Mémoire au roi sur la création des assemblées provinciales, publication faite en fraude par Cromot, trésorier de l’un des frères du roi, avait augmenté les craintes à cet égard. Tous les éléments d’opposition se liguèrent après la publication du Compte rendu ; on discuta les chiffres produits et, dans des libelles injurieux, dus pour la plupart à la plume de Bourboulon, trésorier d’un autre frère du roi, on mit en doute la sincérité du ministrer Necker fut si péniblement affecté des outrages dont il fut alors l’objet que sa femme fit auprès de Maurepas une démarche secrète pour lui confier les tourments de son mari et solliciter des mesures de répression contre les auteurs des libelles. Necker, de son côté, demanda au roi une vérification des chiffres du Compte rendu par des membres du conseil ; il réclama ensuite un ensemble de mesures qui auraient été aux yeux du public une