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rieuses : les maraîchers des banlieues, les pépiniéristes, les horticulteurs, les vignerons même savent ce que la culture intensive peut tirer d’un sol favorable. Tel jardin, à Grasse ou à Nice, telle vigne du Bordelais, de la Bourgogne ou de la Champagne comporte, sur cent mètres de long, un produit brut que, dans d’autres cantons, un kilomètre carré ne donnerait pas. Ne plaignons pas trop les propriétaires de ces cultures exceptionnelles, lors même que leurs lots seraient exigus. Le fils qui n’a que le tiers ou le quart du domaine paternel arrive parfois, en y mettant plus de travail et d’argent, à compenser cette infériorité et à produire autant que son père.

’ Nous espérons avoir suffisamment prouvé qu’il y a plus de bon grain que d’ivraie dans cette soi-disant poussière de propriété qu’a récoltée, jusqu’à concurrence de 10 millions de cotes, l’enquête de 1884. L’ivraie, si l’on veut en trouver, ce sont, ça et là, isolés, et comme noyés au milieu des grandes cultures, ces rubans, ces lanières, ces lambeaux de terre où la charrue n’a pas la place de tourner et où la hèche s’évertuerait en pure perte. Il est clair que le morcellement ainsi compris et pratiqué a plus d’inconvénients que d’avantages. Mais ces terres émiettées, qui tiennent tant de place dans les réquisitoires des adversaires de notre régime successoral, en tiennent bien peu dans l’ensemble du territoire français. Si la toute petite, propriété représente la dixième partie de la France d’aujourd’hui, il n’y a certainement pas un hectare sur cent qui puisse être à bon droit cité comme spécimen des funestes effets de la division des héritages. Dès lors, quelle disproportion entre le mal qu’on dénonce et les doléances auxquelles il sert de thème !

Ajoutons que, par la force des choses, ces débris de propriété dont on se préoccupe tant se trouvent résorbés tôt ou tard. Quand ils ne peuvent plus retrouver leur valeur qu’en s’agglomérant, l’opération n’est qu’une question de temps et elle se ferait plus vite si nous avions une procédure moins byzantine etune fiscalité moins exigeante. Aux exemples de morcellement excessif que l’on se plait à citer, nous pourrions opposer des exemples non moins frappants de restaurations territoriales. En voici un que Ton peut recommander à l’attention des Parisiens. La commune d’Argenteuil a longtemps été considérée, et non sans raison, comme le type le plus complet des abus de la division de la propriété. Les revenus fonciers et les cotes contributives arrivaient à s’y exprimer en centimes plutôt qu’en francs. Léon Faucher ne. MORCELLEMENT

s’en consolait pas et disait tristement : « Que sera-ce dans une trentaine d’années ? » Les trente années ont passé et M. Baudrillart, voulant savoir ce qu’elles avaient pu faire de ce territoire pulvérisé, a eu la surprise ou du moins la satisfaction de le trouver remis en bon état : « Le mal a disparu. Le sol se trouve maintenant très convenablement partagé entre la petite et la moyenne propriété. Chaque propriétaire a ce qu’il lui faut 1 . » Et le savant auteur des études sur les Populations agricoles de la France ajoute : « Les faits de ce genre ne sont rien moins que rares en France ». L’expérience donne donc raison à Benjamin Constant qui, en 1826, avait dit : « Le morcellement des terres s’arrêtera toujours au point au delà duquel il deviendrait funeste 2 . » . Effets sociaux de la division de la propriété. Nous nous bornerons ici à de brefs aperçus : un volume suffirait à peine pour approfondir les faces multiples d’une question si complexe. N’a-t-on pas cherché à rendre le morcellement responsable de toutes nos misères, même de celles qui nous sont communes avec les pays les moins morcelés ? A vrai dire, les contradictions ne sont pas rares chez ceux qui se montrent si sévères. Et d’abord, parmi les auteurs qui considèrent le morcellement comme un fléau, les uns le maudissent parce qu’il crée la petite propriété {Young, Herrenschwand, Malthus, Mac Cuîloch , Rossi, lady Verney , etc.) ; les autres le maudissent parce qu’il la tue (Le Play et ses disciples). Ces derniers professent de vives sympathies pour la petite propriété, mais ils posent en principe que notre système successoral la ruine, la détruit. Il faudrait pourtant s’entendre. Si l’on considère réellement la petite propriété comme un bienfait, on en doit souhaiter l’extension et, pour qu’elle se développe , il faut bien que la matière première en soit prise quelque part. Dans les pays neufs, où le colon n’a que l’embarras du choix entre les terres vierges qui s’offrent à lui, onpeutdécréter sans scrupule l’indivisibilité des petits domaines patrimoniaux, et si le Far West n’avait pas le homestead (voy. ce mot) exemption, il ferait bien de l’inventer. Mais, en France, où sont pour les amateurs les terres sans maître ? Il n’y a plus rien chez nous qui ne soit à personne, et une commune ne peut compter . Contemporary Review, 1886, p. 729. % L’économiste allemand Rau exprime la même opinion t « En fait, le morcellement ne présente aucun danger, parce qu’il ne progresse, dans chaque pays, que jusqu’au point marqué par l’ensemble des circonstances économiques qui y dominent ».