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leurs idées, à de véritables exagérations. C’en est une que d’affirmer Vémiettement de la propriété foncière, en France ; et même à ce morcellement partiel, dont nous mesurerons tout à l’heure les progrès, le régime successoral a moins contribué que le jeu continu des libres transactions entre vifs. Aussi bien la réforme appelée depuis si longtemps par tant de voix éloquentes serait aujourd’hui assez illusoire. Pour qu’une institution puisse être fructueuse, il ne suffit pas qu’elle existe sur le papier ; il faut qu’elle fonctionne. Or, les parents français n’usent plus que bien rarement du droit qu’ils auraient de faire des parts inégales. Celui qui a deux, trois, quatre enfants, serait en droit de donner à l’aîné le double de ce qu’il est forcé de laisser à chacun des autres et près que toujours (sauf dans deux ou trois provinces méridionales) il croit devoir s’interdire cette partialité. L’intérêt du propriétaire ou de l’exploitant s’efface chez lui devant des considérations d’un ordre supérieur. Yis-à-vis de tous ceux qu’il a appelés à la vie, il se sent ■ d’égales obligations, et il trouve plus juste de diviser sa propriété que de diviser sa famille en donnant tout à l’un, rien aux autres. Les mœurs étant ainsi devenues chez nous plus égalitaires encore que la loi, il est permis de croire que le jour où la liberté de tester serait rendue tout entière aux pères de famille, la France économique ne s’en apercevrait guère.

Ce qu’il y aurait de plus pratique, en attendant mieux, serait de rendre l’application de notre droit successoral moins rigoureuse et plus intelligente . Actuellement, les articles 826 et 832 du code posent deux préceptes contradictoires. Au notaire qui prépare un partage après décès la loi dit d’abord, et le bon sens avec elle : « Dans la formation et la composition des lots, on doit éviter autant que possible de morceler les héritages et de diviser les exploitations ». Ce sont les premières lignes de l’article 832. Mais, si le notaire se met en devoir de suivre cette sage recommandation, il se heurte à l’article 826, qui autorise expressément chaque cohéritier à « demander sa part en nature des meubles et immeubles de la succession » et à la seconde partie de l’article 832 qui promet à chaque lot « la même quantité de meubles, d’immeubles, de droits ou de créances de même nature et valeur ». Et le père de famille est, à cet égard, aussi entravé que l’homme de loi. Le code Ta autorisé à faire lui-même entre ses enfants le partage de son bien et où trouver, en effet, un arbitre plus sûr et mieux intentionné ? Mais la jurisprudence a tout gâté en rendant applicable aux partages d’ascendants, et cela sous peine de nullité, toutes les exigences de l’article 832. C’est à ces stipulations trop absolues, trop géométriques, et non à la simple limitation des quotités disponibles qu’incombe la responsabilité de ces liquidations brutales qui désorganisent un héritage et en détruisent la valeur. M. de Butenval et M. Claudio Jannet ont, dans cet ordre d’idées, formulé des desiderata qui ne nous semblent comporter aucune objection sérieuse et dont le législateur aurait dû tenir compte.

Mais surtout ne nous lassons pas de protester contre l’exagération funeste des formalités et des frais qui pèsent si lourdement sur tous . les mouvements de la propriété foncière. . Exemple d’un pays où la propriété est très peu divisée : l’Angleterre.

Le cadre limité qui nous est tracé ne nous permet pas d’étudier ici, au point de vue de la division de la propriété, tous les États qui pourraient avantageusement trouver place dans un travail complet sur la matière. Mais rien ne facilitera mieux l’intelligence des observations précédentes que la comparaison de deux pays voisins auxquels les hasards de l’histoire ont souvent imprimé des orientations contraires : nous voulons parler de l’Angleterre et de la France. En ce qui concerne le morcellement, le contraste est frappant 1 . Au nord comme au sud de la Manche, la propriété est née de la conquête, mais la conquête ne datepaspour l’Angleterre, comme pour la France, des premiers siècles de l’ère chrétienne. C’est en plein moyen âge (1066) que le vainqueur d’Hastings et après lui son fils renouvelèrent, au profit des chevaliers normands, l’organisation encore toute féodale de la Grande-Bretagne. Cent ans après, en 1171, l’Irlande était à son tour domptée et dépecée. La proscription de l’Église catholique en 1531, la restauration de 1660 et îa révolution de 1688 n’ont fait que changer les titulaires de certains fiefs, sans en modifier le caractère et les effets de ces confiscations . La Prusse, plus morcelée que l’Angleterre, l’est beaucoup moins que la France : eu 1878, 1 560 000 propriétés rurales s’y partageaient 24 millions d’hectares et voici comment elles se classaient en grandes propriétés (plus de 1500 marks de revenu net imposable) ; moyennes propriétés (de 300 à 1500 marks de revenu net) ; petites propriétés et propriétés parcellaires (moins de 300 marks de revenu net, l’exploitation suffisant ou non à assurer l’existence au propriétaire ;

Nombres Superficies

de propriétés. occupées.

Grande propriété... 2,1 p. 100 37,9 p. 100 Moyenne propriété.. H, 7 — 29,7 — Petite propriété 17,1 _ 18,9 —

Propriété parcellaire. 69, t — 13,5 — Totaux..

,00 p. 100 100,00 p. 100