Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/357

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il est clair que les humbles domaines constitués de la sorte réduisent d’autant l’importance superficielle de la grande ou moyenne propriété, qui en fournit la matière première ; mais ils sont si étroits qu’à eux tous ils ne tiennent pas beaucoup de place ; il y a bien des arpents dans un kilomètre carré. Et la grande culture y perd encore moins que la grande propriété, car on ne lui a pris, bien souvent, que ce qu’elle considérait comme des non-valeurs.

L’antagonisme est donc ici plus apparent que réel ; et ce que le législateur nous paraît avoir de mieux à faire est de ne pas intervenir et de laisser les vendeurs et les acheteurs s’arranger ensemble comme ils le jugent bon.

. Influence des lois : lois fiscales, lois successorales.

En France, le seul obstacle légal auquel se heurtent ceux qui veulent acheter de la terre et ceux qui veulent en vendre est l’exagération des droits et frais qui grèvent les transmissions immobilières. Autant la négociation d’un titre de rente est facile, autant celle d’un immeuble est compliquée et coûteuse. On sait que dans le cas de vente judiciaire (licitations, saisies...) la protection spéciale que le législateur a voulu assurer aux intéressés se traduit par la confiscation, totale on partielle, de leur bien. C’est une si amère ironie qu’on s’étonne qu’il ne soit pas encore intervenu, à cet égard, de réforme sérieuse. Mais même dans le cas le plus favorable, le prix convenu se trouve habituellement surchargé d’environ 10 p. 100, soit trois ou quatre fois le revenu d’une année. On comprend quelles entraves un pareil régime met à la circulation des biens : beaucoup d’héritages restent ainsi dans les mains les moins aptes à en tirer parti au lieu de passer dans celles qui sauraient le mieux les faire fructifier. La revision de ces lourds tarifs serait un véritable bienfait pour l’agriculture française.

Bans, d’autres pays, la loi permet de mettre hors du commerce ou de rendre indivisibles certains domaines, grands ou petits. Le but n’est pas toujours le même, et les moyens non plus. Nous nous bornerons à mentionner ici, sans entrer dans des détails qui feraient double emploi, le homestead américain, les Bentengûter allemands, et les diverses combinaisons, substitutions et autres qui, en Angleterre, permettent de rendre inaliénables une multitude de biens-fonds. Les lois successorales jouent aussi, dans la question du morcellement, un rôle dont on a souvent exagéré, mais dont il ne faut IL

— MORCELLEMENT 

pas méconnaître l’importance. Le droit d’aînesse aide évidemment les propriétés familiales, à passer, sans perdre leur unité, d’une génération à l’autre. La liberté testamentaire, qui dans certains pays est absolue, permet également au père de famille de sauvegarder l’intégrité de son domaine en l’attribuant tout entier à un même enfant. Les partages après décès deviennent, au contraire, une cause périodique de morcellement, lorsque la loi ou l’usage imposent l’égalité des parts.

En France, la liberté de tester existe sans restriction pour qui ne laisse aucun descendant direct et les successions collatérales (plus d’un milliard par an) ont souvent pour effet de reconstituer, à une génération de distance, l’unité de l’héritage qui s’était partagé entre frères ou sœurs. Dans les successions en ligne directe, le code civil n’assure aux fils et aux filles des droits rigoureusement égaux que lorsque le père ou la mère meurt intestat. S’ils font un testament, ils peuvent disposer à leur gré d’une quotité disponible, qui se trouve fixée à la moitié, au tiers ou au quart de la masse partageable, selon que les descendants forment une seule branche, ou deux, ou davantage. Cette quotité peut profiter à l’un des enfants ou à toute autre personne.

Ce régime successoral n’est pas aussi nouveau en France que ses adversaires veulent bien le dire et, à beaucoup d’égards, l’autorité du père de famille y est même mieux garantie maintenant qu’autrefois dans certaines provinces. C’était la Révolution qui avait anéanti le droit tester et le code civil l’a fait revivre, tout en le réglementant. Cependant, il est certain que la législation actuelle rend inévitable, dans une foule de cas, la division de l’exploitation paternelle et il en résulte souvent des mutilations regrettables. L’école de la paix sociale, fondée par M. Le Play, voit là pour la société française une source de maux incalculables et professe que, si l’on veut sauver d’une ruine imminente la famille et la propriété, il faut se hâter de remanier nos institutions. Pour les hommes de bien qui se sont faits les apôtres de cette sorte d’évangile social, l’idéal serait la liberté absolue de tester. Faute de mieux, ils se contenteraient de voir (comme en Italie) fixer dans tous les cas le quotité disponible à moitié de la masse partageable. Les économistes, en général, sont plutôt favorables qu’hostiles à cette extension des pouvoirs du pater familias et nous nous garderions bien de venir ici la combattre. Seulement les disciples de Le Play se sont laissé entraîner, pour la défense de