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et nos conclusions varieront notablement selon qu’il s’agira de la première forme du morcellement ou de la troisième. I. PREMIÈRE FORME DU MORCELLEMENT : LA DIVISION DE LA PROPRIÉTÉ.

- Inégalités que présente, d’un pays à un autre, la division de la propriété.

Le sol a presque partout commencé par être à l’état d’indivision. 11 existe encore dans les pays neufs et même dans les pays civilisés de nombreux exemples de terres indivises : l’Amérique a ses public lands ; les États européens ont leurs domaines, qui, selon les époques et les circonstances, vont se réduisant peu à peu ou, au contraire, se développant. Mais la majeure partie des surfaces exploitables, en France et dans les contrées voisines, est depuis longtemps acquise à la propriété privée et se partage en un nombre considérable d’héritages distincts, grands ou petits. Onen compte au moins 7 millions 1/2 en France, soit environ i propriétaire sur 5 habitants et 14 par kilomètre carré. Ces proportions déjà bien remarquables se trouvent encore dépassées en Belgique. Dans le Royaume-Uni, au contraire, on ne trouve pas même 1 propriétaire sur 20 habitants et c’est à peine s’il en existe 5 par kilomètre carré. Ce contraste prouve suffisamment que les peuples les plus voisins les uns des autres peuvent avoir mené très inégalement le morcellement de leur territoire et il est intéressant de rechercher les causes et les effets de ces différences.

. Influences historiques et économiques. On vient de voir que le rapport entre le nombre des propriétaires fonciers et le chiffre de la population est loin d’être partout le même. Il est clair cependant que la cause première de la multiplication des propriétés a dû être partout la multiplication des hommes. Dans un milieu social où tout individu serait de droit propriétaire, il y aurait non seulement parallélisme, mais identité entre le mouvement de la population et celui de la propriété. Et là même où la possession du sol est le privilège exclusif d’une caste, il suffit que cette caste devienne déplus enplus nombreuse pour que les domaines individuels aient tendance à se subdiviser. Cette influence, à vrai dire, n’est pas seule en cause et peut se trouver neutralisée, comme en Angleterre ; mais, d’une manière générale, c’est elle qui a le plus contribué dans le passé et qui contribuera le plus dans l’avenir à la décomposition successive des allotissements primitifs.

Des calculs qu’il ne semble pas nécessaire de reproduire ici, malgré leur simplicité 1 , montrent que l’on est loin d’exagérer la rapidité avec laquelle le globe s’est peuplé, depuis les commencements de l’histoire, en admettant que l’effectif de la race humaine pouvait, en moyenne, décuplertous les mille ans. Cette hypothèse n’implique qu’un taux de progression annuelle de 1/4 p. 100, et de nos jours il n’y a guère que la France où le mouvement de la population soit aussi lent que cela ; pour l’ensemble de l’Europe contemporaine, la moyenne atteint presque i p. 100. Mais, même en ne comptant que 1/4 p. 100, la simple continuation de cette progression géométrique pendant mille ans promettrait à la terre, pour le xxix e siècle, 15 milliards d’habitants ! Cela étant, comment s’expliquer que tant de personnes parlent du morcellement de la propriété comme d’une anomalie ? Trouverait-on plus naturel de voir le nombre des détenteurs du sol rester invariable dans une population dont l’effectif va toujours croissant ?

La division et la subdivision de la propriété foncière sont d’ailleurs le résultat logique de l’évolution qui fait peu à peu succéder icibas la vie pastorale à la vie sauvage et la vie agricole à la vie pastorale. Là où la civilisation n’a point encore commencé son œuvre, l’homme se contente pour vivre des produits spontanés de la nature animale et végétale : il cueille les fruits qui mûrissent sous ses yeux ; il chasse, il pêche, et il faut à chacun, dans ces conditions, de vastes espaces (souvent plus de cent hectares par tète) ; car, si l’activité individuelle se trouvait trop étroitement localisée, elle aurait bien vite tari les ressources qu’elle consomme et ne regénère pas. Lorsque, la chasse cédant le pas à l’élevage, la vie pastorale se substitue à la vie sauvage, c’est déjà un énorme progrès et la terre, à surface égale, peut nourrir bien plus de monde qu’avant. Cependant les peuples pasteurs ne peuvent encore vivre qu’à la condition de se mouvoir dans d’assez larges horizons, parce que lorsqu’ils ont fait brouter leurs troupeaux d’un côté, il faut les mener paître ailleurs et laisser à l’herbe le temps de repousser. Plus tard, de même que l’élevage avait remplacé la chasse, la culture méthodique du sol remplace cette exploitation pour ainsi dire passive des végétations naturelles dont se contentait la vie pastorale et cette nouvelle conquête réduit encore considérablement ce qu’on pourrait appeler le rayon vital de l’homme. Une famille tire alors sa subsistance d’un périmètre limité. Il est donc naturel que les groupes humains . V. A. de Foville, le Mur tellement , 1885, chap. u