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ici que des raisons de justice, pour ne pas soutir de notre sujet : car, s’il s’agissait de l’utile, comment ne pas remarquer que, le jour où le prêt ne rapportera rien et où l’entrepreneur n’aurait aucun avantage relativement à celui qui n’a que ses bras, il n’y aurait nulle raison de faire du capital, c’est-à-dire d’amasser ce fonds de réserve en matières et en instruments, en applications scientifiques et en découvertes, qui est le legs du passé à l’avenir, la force transmise par les générations antérieures à celles qui suivent, fonds sans lequel il n’y a ni richesse acquise, ni industrie, ni civilisation, ni progrès.

De ces considérations nous n’exclurons pas la rente. On se récrie sur ce que ce surcroît qui n’est dû, dit-on, à aucun excédent de travail et de capital, crée une sorte de privilège en faveur de celui qui le perçoit. D’abord il n’est pas vrai que la rente ne soit jamais l’effet d’un travail. Un inventeur qui prend un brevet, ou qui garde son secret, touche un excédent sur la moyenne de profits, et cette rente est bien le fruit du travail. Il en est ainsi de l’agriculteur hardi et habile qui applique un nouveau procédé, un nouvel engrais. Dans les cas où la rente est l’effet d’une circonstance plus ou moins fortuite, comme un débouché nouveau pourun champ, comme dans le cas d’un terrain enclavé dans une ville où le sol prend tout à coup une grande valeur, on proclame à plus forte raison l’antagonisme des lois morales et des lois économiques. Qu’est-ce pourtant autre chose que la chance heureuse qui entre dans les affaires humaines et dans l’inégalité des conditions ?

Tels dons naturels sont très avantageux 

sans avoir coûté aucun effort, aucune dépense. 11 faudrait voir si ceux qui confisqueraient cette rente, commeils en parlent au cas où cela serait praticable, n’arrêteraient pas par là même l’essor des facultés inventives, la spéculation utile, tout ce qui stimule l’activité en vue d’un revenu supérieur aux profits moyens. C’est cela qui serait vériblement injuste et nuisible à la société prise dans son ensemble. Affirmer quon pourrait aller chercher la part de la rente dans tous les profits — entreprise, nous le répétons, absolument chimérique — ■ pour l’ôtcr à ses possesseurs et en faire le patrimoine commun de la société sans léser les intérêts les plus légitimes, c’est prendre en main la cause la plus insoutenable. Si, en certains cas, la rente retombe fâcheusement en cherté sur le public consommateur, quelle ne serait pas cette cherté plus grande qui résulterait de la rareté produite par l’interdiction de s’élever j amais à des bénéfices dépassant la moyenne ? Deux questions enfin se lient à la distribution des richesses : celle de la population et celle de l’assistance publique et privée. La population d’abord par le lien évident qui unit la quantité des moyens d’existence et le nombre des hommes. Nous ne ferons qu’une allusion rapide à ces accusations d’immoralité dont l’économie politique a été l’objet relativement à cette question et nous renvoyons aux articles sur Maltkus et sur la population. On peut y voir combien il est peu exact que l’économie politique ait jamais préconisé des moyens immoraux pour limiter le nombre des hommes. Les conseils qu’elle donne ont un caractère tout opposé. Quant à l’assistance, nécessaire pour soulager les souffrances nées d’infirmités, de maladies, ou la misère soit permanente soit passagère, on a prétendu à tort que l’économie politique lui était contraire et, selon l’expression consacrée, manquait d’entrailles. On pourrait demander d’abord ce qu’on entend par les entrailles d’une science. Mais si on veut dire par là que l’économie politique appliquée proscrirait la charité dont elle n’aperçoit que les dangers, l’accusation est également peu fondée, et tout au contraire l’économie politique laisse à la charité sa moralité en respectant sa liberté, et en ne dispensant pas l’obligé du devoir de la reconnaissance. C’est ce que ne fait pas la charité légale, convaincue, en outre par l’exemple de la taxe des pauvres, d’éteindre l’esprit de travail, de tuer toute prévoyance, d’anéantir toute dignité, de créer enfin le paupérisme qu’on se propose de combattre. Ce n’est pas à dire que l’assistance publique n’ait sa place dans les cas d’insuffisance de la charité particulière ou par voie d’association. Mais elle a ses limites et certaines règles lui sont imposées, règles morales et économiques à la fois. La plus générale est que l’assistance doit aider l’assisté à reprendre énergie et courage, et ne doit pas lui conférer des avantages gratuits sur lesquels il peut compter au risque d’y perdre le goût du travail et le sentiment du devoir.

IV. — La consommation des richesses implique aussi des règles morales et révèle le même accord. Il est sans exemple que les consommations immorales ne soient pas des consommations ruineuses. Le bon emploi des richesses est prescrit par l’économie politique autant que par la morale. Or, on emploie bien la richesse en lui donnant un but autant que possible reproductif et en réglant les consommations dites improductives selon les règles de la sagesse et de la modération. L’économie politique préconise l’épargne, qu’elle montre féconde par ses emplois, et constate les effets contraires de la prodiga-