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vertu moralisatrice. Nés du fait moral de la prévoyance, ils la perpétuent. La pensée de l’avenir soutient l’individu dans ses efforts, et ses horizons s’agrandissent encore avec la famille et l’héritage. On est poussé alors à travailler par des affections qui créent de communs intérêts. — La notion du capital, si follement incriminée, rentre dans les mêmes considérations. Sans l’empire sur soi-même qui réfrène les appétits et leurs exigences immédiates, qui met une borne aux fantaisies, on ne s’imposerait aucune privation, on ne créerait aucune épargne, on vivrait au jour le jour. On dit que la richesse s’acquiert aussi par la conquête, par la spoliation. Mais est-ce que la richesse créée par le travail ne leur préexiste pas ? Sans lui, elles trouveraient le monde vide et désert, et il n’y a des conquérants et des voleurs que parce qu’il y a des gens laborieux et économes pour former le trésor des biens dont ils font leur proie.

Un des premiers commandements de la morale, c’est le respect de l’homme lui-même, c’est-à-dire de sa liberté, de sa personne, de ses facultés, de leur exercice inoffensif et utile, de tout ce qui fait de lui une force. L’accaparement de cette force pour d’autres hommes qui la font travailler à leur profit est une suprême iniquité. Elle s’appelle l’esclavage, et l’esclavage est économiquement funeste par les mêmes raisons qui rendent la liberté du travail bienfaisante et féconde. Le travail libre, c’est la dignité, c’est l’honneur ; l’esclavage, c’est la dégradation ; le travail libre, c’est l’homme qui pense, prévoit, dispose de lui-même, trouve dans le salaire de ses peines un encouragement à de nouveaux travaux, et aussi l’idée de les diminuer et de les rendre plus fructueux à l’aide de machines et de découvertes savantes qu’il s’ingénie à mettre en oeuvre ; l’esclavage, c’est la brute prenant la place de l’homme, c’est l’effort stérilisé, c’est l’absence de progrès ; c’est la corruption morale pour l’oppresseur et pour l’opprimé. Il semble que les harmonies du monde moral et du monde économique n’ont jamais trouvé une manifestation plus éclatante que dans ces deux faits dont l’existence et le contraste remplissent l’histoire des peuples : l’esclavage qui porte avec lui la fainéantise, les vices et la misère, et la liberté du travail qui vivifie les énergies, appelle la responsabilité à son secours pour leur servir de règle, suscite la concurrence pour empêcher qu’elles ne s’endorment. En revendiquant comme son principe essentiel emprunté à la nature morale la liberté responsable, l’économie politique glorifie par là même l’initiative individuelle. Elle met dans L ’homme lui-même l’origine de son bonheur ou de son malheur. Elle lui attribue les avantages de ses mérites comme elle met à sa charge les conséquences fâcheuses de ses fautes. En le laissant agir à ses risques et périls, ou plutôt en montrant qu’agissant ainsi, il arrive au maximum d’efforts utiles, elle est de tous points conforme à l’esprit de la morale. Il n’y a pas en effet de meilleure école pour la volonté. Par là seulement elle apprend à rester forte et vigilante, à ne pas faiblir, ou, si elle s’écarte, à rentrer dans le bon chemin. La sanction est ici dans le succès ou dans les revers, dans le bien-être ou dans la misère. Telle est la règle, en effet, quelle que part qu’il y ait à faire aux circonstances plus ou moins heureuses. La conduite la plus opposée est celle qui consiste à compter sur les autres et non sur soi, ou bien à substituer l’action de l’État à notre action personnelle. Cette dernière façon de résoudre les questions économiques compte des théoriciens nombreux. Le dernier mot de ces systèmes est l’avilissement et la ruine. Ils font des individus de simples rouages. Ils mettent la mendicité universelle à la place du travail. L’État devient une providence terrestre a laquelle on demande tout, en lui rendantle moins possible en services. L’économie politique fait une part plus ou moins large au rôle et à l’intervention de l’État ; elle s’oppose à ce que ses attributions empiètent sur l’action de l’individu et des associations libres. Les plans artificiels d’organisation du travail, qu’on propose, diffèrent entre eux du tout au tout ; mais tous font violence à l’humanité qu’ils poussent, bon gré mal gré, dans des cadres où ils la contraignent de produire et de répartir les produits, selon des modes tracés par une volonté supérieure. C’est un inventeur comme Saint-Simon ou Fourier, ou une autorité soit centrale, soit municipale, qui règle les profits et les salaires et qui même assigne à chacun sa fonction et son rang. Qu’y a-t-il au bout de ces théories ? L’anéantissement de la personnalité, l’affaiblissement moral, la réduction de la production nécessaire aux besoins d’une société civilisée, et l’appauvrissement de tous. Enfin, un autre reproche fait à l’économie politique, c’est, en proclamant la liberté du travail, et la devise du laisser faire, de déchaîner les appétits, l’anarchie et la violence. A cette objection si grave il y a plus d’une réponse. 1° Dans les luttes de la concurrence que visent particulièrement ces reproches, les intérêts se limitent les uns les autres ; d’une part, chaque producteur est tenu de faire agréer ses produits et ses services ; de l’autre, les rivaux qu’il rencontre l’obligent à réduire