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Ce qui est essentiel, c’est que ceux qui désirent acquérir un objet ou recevoir un service quelconque se trouvent en présence d’un seul vendeur, d’un seul intérêt, d’une seule volonté, dont ils doivent subir la loi, sous peine de renoncer à l’objet ou au service dont ils ont besoin. Si, pour la même espèce d’objet ou de service, il y a seulement deux vendeurs ayant un intérêt propre et distinct, deux vendeurs ne s’entendant pas entre eux, il n’y a plus monopole, il y a concurrence (V. ce mot). La concurrence sera plus ou moins étendue, plus ou moins intense ; mais il suffit qu’elle existe, si limitée qu’elle soit, pour exclure le monopole. Le monopole et la concurrence sont deux modes de l’échange radicalement opposés i et inconciliables. On ne saurait concevoir leur coexistence .

Pour la plupart des économistes que nous avons cités plus haut, à l’exception de Condorcet 2 , il y aurait monopole, dès que la concurrence serait simplement limitée. «Il y a monopole naturel, ditRossi {loc.cit.,^. 102), lorsque, par la nature même des choses, la production n’est possible que dans une certaine mesure et pour certaines personnes. » «Tout vendeur, dit Garnier (loc, cit., p. 122), dans le cas où la concurrence est restreinte par des causes naturelles ou artificielles, jouit d’un monopole. » — « Cette situation, dans laquelle la concurrence ne s’exerce pas ou s’exerce mal, porte le nom de monopole, » dit M. Ch. Gide {loc. cit, l re édit., p. 459). C’est là, suivant nous, une erreur capitale. Une simple observation la fera suffisamment ressortir. Si toute limitation de la concurrence constituait un monopole, comme, en réalité, la concurrence est toujours plus ou moins limitée soit naturellement soit artificiellement, il faudrait dire qu’il y a monopole partout, que le monopole seul existe ; ce qui est manifestement inadmissible. La vérité est que le monopole apparaît quand la concurrence est entièrement supprimée et non quand elle est simplement limitée. Notre définition permet de résoudre très aisément la question de savoir s’il y a ou non monopole dans telle ou telle hypothèse donnée. Nous le montrerons par quelques exemples.

Le propriétaire foncier jouit-il d’un monopole. La grande majorité des économistes . V. Proudhon, loc. cit. t p. 234. . Condorcet s’exprime ainsi :« On. appelle monopole lavente exclusive d’une denrée faite soit par un seul homme, soit par une compagnie. » (Loc. cit.) « Faire le monopole, dit aussi Condillac (loc. cit.), c’est vendre seul », mais il ajoute un peu plus loin : « Je dis qu’il y a monopole, par conséquent, injustice et désordre, toutes les fois que le nombre des marchands n’est pas aussi grand qu’il pourrait l’être. » tient pour l’affirmative 1 et fournit ainsi une arme redoutable aux adversaires de l’appropriation individuelle du sol. Si l’on accepte notre définition, la négative n’est pas douteuse et doit être admise sans hésitation. Pour que là possession de la terre constituât un monopole, il faudrait que toute la terre exploitable du globe ou, du moins, d’une vaste surface du globe appartînt à un seul individu ou à un seul État. Mais là où le sol est partagé, où les partageants se chiffrent par millions, et où tout individu désireux d’acquérir une fraction de terre se trouve toujours en présence de l’offre de plusieurs vendeurs, il faut, en vérité, une large dose de bonne volonté pour parler de monopole. C’est en vain que l’on insiste sur les limites inévitables dans lesquelles sont enfermées et la surface cultivable et la puissance productive de la terre. Ces limites ne sauraient, en aucun cas, détruire la concurrence qui règne entre les nombreux détenteurs du sol et, partant, engendrer le monopole. Il serait possible de prouver, au surplus, qu’elles n’ont rien de véritablement anormal et qu’elles s’appliquent à tous les instruments de travail, à toutes les richesses, sans distinction, aussi rigoureusement qu’à la terre. Voici le propriétaire d’un cru renommé de la Gironde ou de la Bourgogne, un grand acteur, un avocat célèbre, un peintre ou un sculpteur émiaent, un illustre romancier : jouissent-ils d’un monopole ? — Beaucoup ne comprendront pas que nous posions la question, tant l’existence d’un monopole leur paraît, ici, certaine. Nous dirons cependant et nous croyons pouvoir prouver sans peine qu’il n’y a pas plus de monopole au profit des personnes que nous venons de désigner qu’au profit des propriétaires fonciers. Il n’y a pas monopole au profit de ces diverses personnes ; il y a seulement limitation de la concurrence. Il y aurait monopole si tous les vignobles ou, seulement, tous les . Veut-on la preuve que cette doctrine est l’une des plus invétérées que l’on rencontre. M. Ch.. Gide (loc. cit., 1" édit., p. 477) déclare que le propriétaire foncier, en géuéral, ne jouit pas d’un monopole. Mais, à la page 480, il se borne à reprocher à ceux qui sont d’un avis opposé au « sien une généralisation un peu superficielle ». A la page 483, il parle de la perpétuité du monopole du propriétaire foncier, comme s’il n’avait jamais contesté l’existence du monopole lui-même. A la page 493, il intitule un paragraphe : « Des correctifs que l’on peut apporter au monopole de la propriété foncière. » Enfin, nous trouvons dans sa 3 e édit., p. 480, l’étrange affirmation suivante que ne répudieraient poiut les collectivistes les plus décidés et contre laquelle nous tenons à protester, en passant : « Au fur et à mesure que la société se développe, que la population devient plus dense, la propriété foncière prend peu à peu les allures d’un monopole qui va grandissant indéfiniment au grand profit des propriétaires, muis au grand détriment de la société ». Tous les faits contredisent cette affirmation.