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publique. Ses premiers comptes, résumés fidèles d’écritures tenues en partie double, ne frappèrent pas moins par la forme dans laquelle ils étaient présentés que par les résultats qu’ils constataient. On ne tarda pas à célébrer hautement les bienfaits de l’institution et à en attribuer le mérite à l’habile direction qu’elle avait reçue.

La première entrevue de Mol lien avec Napoléon avait eu lieu en juin 1801 ; elle est restée classique : le futur ministre avait passé plus de deux heures à expliquer le mécanisme de la Bourse, à défendre contre des objections tirées souvent des motifs les plus élevés la légitimité des marchés à terme {voy. ce mot), à définir avec précision et autorité les devoirs attachés à la profession d’agent de change (voy, ce mot). La franchise et la netteté de son langage avaient frappé son interlocuteur. Son titre d’administrateur fut bientôt changé contre celui de directeur général, et le premier consul prit l’habitude de île consulter fréquemment. Nommé conseiller d’État à la proclamation de l’empire, Mollien commença à être convoqué aux conseils des ministres et aux conseils de finances et fut appelé, en janvier 1806, à la suite delà célèbre affaire des Négociants réunis, à remplacer Barbé-Marbois au ministère du Trésor. Un traité avait été conclu avec une compagnie de banquiers pour l’escompte des obligations des revenus généraux. L’effet de cette intervention avait été désastreux : 142 millions d’effets, d’un recouvrement certain, avaient fait place, dans le portefeuille du Trésor, à des valeurs d’une réalisation incertaine et, en tout cas, éloignée. « Aucune chronique financière,dit Mollien, ne présente l’exemple d’un fait aussi extraordinaire ; et, ce qui l’est peut-être plus encore, c’est que la presque totalité de cette créance a été recouvrée. .. beaucoup plus tôt et mieux que je ne l’espérais moi-même. »

Mais il ne suffisait pas de liquider le passé : il fallait prévenir le retour d’une semblable catastrophe. La Banque aspirait à prendre la succession des faiseurs de service. Mollien, à la suite de longues délibérations, parvint à faire écarter cette idée. Dans sa pensée, c’était d’une meilleure utilisation de ses propres ressources que le Trésor devait attendre le secours permanent qui lui était nécessaire, et les moyens d’exécution devaient naître « de la nature des choses mieux observées ». Le vice de la situation était surtout dans la faculté laissée aux receveurs généraux de ne verser qu’en dix-huit mois et quelquefois plus le produit des impôts qui était presque entièrement recouvré ilans les douze mois. Les emprunts contractés par le Trésor servaient ainsi à remplacer des fonds qui se trouvaient déjà en grande partie dans les caisses de ses agents. Il fallait faire emploi de ces fonds, au fur et à mesure de leur rentrée, en allouant aux receveurs généraux un intérêt suffisant sur les versements qui anticiperaient le terme fixé. En d’autres termes, le Trésor ne devait plus avoir d’autres prêteurs que ses propres agents et ceux-ci ne devaient pas chercher en dehors du Trésor lui-même le mode de placement de leurs fonds. Ne voulant pas mettre, comme il le dit, « l’orgueil de la routine aux prises avec l’orgueil de la réforme », Mollien ne chercha pas à détruire l’organisation existante ; il imagina d’ajouter aux rouages de l’ancienne machine un moteur de plus, « qui fût indépendant des autres et leur redonnât la puissance qui leur manquait ». Ce moteur devait être une nouvelle caisse, instituée au Trésor sous. le nom de Caisse de service, qui devait être en relations constantes avec tous les receveurs généraux, et ouvrir un compte courant à chacun ’d'eux. (V. Comptabilité publique, § 10.)

Quand le ministre communiqua son plan à l’empereur, la réponse fut : « Faites le décret, je le signe. » Il demanda trois jours ; il n’obtint que vingt-quatre heures, et, quand il revint avec son projet, Napoléon, contre sa coutume, signa le décret sans le lire en disant : « Je ne peux pas signer trop tôt la libération du Trésor. »

La réforme de la trésorerie appelait une réforme parallèle dans le système de la comptabilité. Pour diriger l’emploi de ses ressources, il fallait que le Trésor connût, pour ainsi dire, jour par jour, la situation de ses agents. Le décret du 4 janvier 1808 prescrivit aux principaux comptables la tenue des écritures en partie double, déjà consacrée par l’expérience de la caisse d’amortissement. (V. Comptabilité publique, § 12.) L’organisation de la Banque de France revenait souvent dans les communications échangées entre Napoléon et son ministre. Mollien était peut-être à cette époque le seul homme en France qui eût des notions précises sur le rôle et les devoirs d’une banque d’émission (Y. Banque, III, § 7 à 18). « Le privilège d’une banque, disait-il, est de fabriquer, presque sans frais, une monnaie qui circule concurremment avec la monnaie réelle... La première condition de toute monnaie est de prendre dans la nécessité de son emploi la mesure de son émission, et cette condition est bien plus impérieusement obligatoire pour la monnaie artificielle que pour la monnaie réelle. Lorsqu’il y a surabondance de mon-