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Voici un exemple des difficultés que fait naître l’emploi des statistiques non raisonnées. La Statistique officielle française donne, sur le commerce de la France avec l’Italie pendant l’année 1887, les chiffres suivants : Importations en France 307.709.516 francs. Exportations de France 192.132.845 — Différence eu faieur de l’Jtalie... 115.515.671 francs. Si l’on consulte maintenant la statistique officielle italienne, on voit que, pendant la même année 1887, les douanes du royaume d’Italie ont reçu 404 648 000 francs de marchandises françaises, soit une différence de 96 638 484 francs en faveur de la France . Il importe donc d’étudier les causes — nombreuses

— de pareilles différences et de considérer que la statistique est une armeà deux tranchants. La statistique peut être néanmoins très utile en ce qu’elle permet d’établir des rapports généraux et des comparaisons entre deux chiffres portant sur des faits de même ordre, lorsque ces chiffres ont été obtenus par les mêmes procédés d’investigation, procédés mis en œuvre, autant que possible, parle même personnel administratif. Les recensements de population ne sont pas, en tant que chiffres, mathématiquement exacts ; mais deux recensements faits dans des conditions identiques peuvent fournir des rapports relativement sûrs.

Un autre instrument d’observation est les congrès. Nous n’avons que peu de choses a en dire. En réalité, ils ont bien plus pour but de discuter sur des matériaux connus que d’en apporter de nouveaux. Ils sont généralement l’œuvre d’un parti ou d’une école. Même considérés de ce point de vue, ils sont intéressants, car ils offrent à l’observateur une sorte de bilan scientifique qu’il faut déchiffrer, il est vrai, mais dans lequel on trouve parfois des indications assez précises et des vues nouvelles, le plus souvent en dehors des conclusions adoptées. Là encore, il faut tenir compte de certaines erreurs. Elles ne proviennent pas d’un intérêt personnel étroit comme dans les enquêtes ; elles sont plutôt le résultat des passions de parti ou de la concurrence que se font entre elles les écoles sur le terrain scientifique.

La méthode dite des monographies (V. Le Play, § 3) a, certes, un côté sentimental et presque romanesque qui attire et séduit. Le Play — dont il faut admirer l’esprit élevé et les travaux sincères — l’avait créée « pour observer par le méthode de Bacon et de Descartes ». Elle était un instrument de recherche qui dépendait étroitement de l’idéal social que s’était fait son auteur. Le Play a observé très jus tement que la durée et la persistance des familles est une condition de stabilité sociale. Il a établi historiquement que des lois et coutumes avaient sinon constitué primitivement, du moins maintenu et développé des familles, et il a conclu qu’il faudrait agir législativement dans le même sens pour reconstituer ou conserver des familles souches. Le problème posé de cette façon est un problème très complexe ; il relève de la science sociale plutôt que de la seule économie politique. Il serait évidemment très scientifique de suivre ce procédé de recherche des causes de persistance et de durée des familles souches, si l’on avait démontré comme vraie l’hypothèse de Le Play ; si les sociétés se développaient suivant cette formule invariable et unique de la famille souche. Mais il n’en est pas ainsi. Les sociétés modernes présentent des différences très grandes avec les sociétés anciennes. Les arrangements sociaux, comme toutes choses d’art, varient à l’infini avec les coutumes et les lois. La famille moderne répond à une organisation générale de la société dans laquelle la famille souche, maintenue par des règlements sp éciaux, serait peut-être une entrave. Les faits d’observation exposés dans les monographies prouvent — on l’a déjà plusieurs fois fait remarquer — que les causes de persistance de familles n’étaient pas aussi simples qu’on pouvait le croire et ne relevaient pas principalement de la loi ou des coutumes qui tenaient lieu de loi. Si, en effet, les substitutions et le droit d’aînesse ont maintenu en certains pays des familles qui ont disparu après l’abrogation de ces lois, il est d’autres contrées où ces familles se sont conservées, bien que l’égalité du partage dans les successions y existât avant le code civil.

Nous n’avons pas la prétention, on le comprend, de faire, en quelques lignes, la critique de tout un système. Mais, comme pour les autres moyens d’observation, il nous a paru utile d’indiquer sommairement la nature d’erreurs que peut faire naître la méthode des monographies.

La possibilité de l’expérimentation en matière économique et sociale a été contestée par J.-Stuart Mill. Après avoir choisi comme exemple la recherche de l’influence de la législation commerciale restrictive et prohibitive sur la richesse nationale, Fauteur du Système de logique s’exprime ainsi (tome II, p. 472) : « Pour appliquer ici la plus parfaite des méthodes expérimentales, la méthode de différence, il nous faut trouver deux cas qui concordent en tout, excepté dans la particularité qui est le sujet même de la recherche. Qu’on trouve deux nations semblables sous le rapport de tous les genres d’avantages et çle