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A mesure que Ton fait des progrès dans une science, les observations tendent à y devenir plus utiles, parce quelles sont éclairées par des hypothèses ou des théories qui ont écarté un certain nombre d’erreurs. C’est ce que Ton remarque en astronomie, où. la théorie de la gravitation universelle explique toute une catégorie de faits qui, primitivement » semblaient avoir les causes les plus diverses. On en peut dire autant, en physique, de la théorie mécanique de la chaleur. Ces découvertes ont pour résultat d’économiser le temps et la peine des observateurs, de diriger leurs recherches dans des voies plus sûres, non parce qu’elles leur auront fait connaître absolument le vrai chemin, mais bien parce qu’elles leur auront montré une partie de ceux qui ne conduisent pas au but désiré. Or, qu’il s’agisse de choisir un champ d’observation, ou encore de faire, selon la belle expression de Claude Bernard, une observation provoquée, il convient le plus souvent de raisonner par induction. Puis, l’observation une fois faite, on emploie le raisonnement qui s’applique à la nature du résultat observé.

Nous verrons plus loin que, parmi les sciences au profit desquelles il ne semble guère possible d’instituer des expériences fructueuses, se trouve la science sociale. A part cette restriction, tous les procédés de la méthode sont employés dans l’étude de la science sociale, et ils sont employés parce qu’ils constituentla méthode elle-même, c’est-à-dire les moyens applicables à la recherche de la vérité. Il n’y a donc pas de procédé qui puisse être préféré exclusivement à un autre ; tous sont bons, pourvu qu’on s’en serve avec une grande probité scientifique. On oppose parfois la méthode dite historique à la méthode intitulée rationnelle, comme si ces deux procédés étaient contradictoires. Or, on se sert du raisonnement dans la méthode qualifiée d’historique, et l’on s’appuie sur des observations dans la méthode désignée sous l’épithète de rationnelle. L’exactitude des observations et des raisonnements seule pourrait être discutée, non les méthodes elles-mêmes, puisque, en définitive elles sont identiques.

« Quand on parle, dit Claude Bernard (Introduct. à la Médecine expérimentale, p. 22), d’une manière abstraite et quand on dit s’appuyer sur l’observation et acquérir de V expérience, cela signifie que l’observation est le point d’appui de l’esprit qui raisonne et Vexpêriencele point d’appui de l’esprit qui conclut, ou mieux encore le fruit d’un raisonnement juste appliqué à l’interprétation des faits. D’où il suit que Ton peut acquérir de l’expérience IL

sans faire des expériences, par cela seul qu’on raisonne convenablement sur les faits bien établis, de même que l’on peut faire des expériences et des observations sans acquérir de l’expérience, si l’on se borne à la constatation des faits. »

Newton, pour résoudre le problème si bien posé par le docteur Hook, de la proportion d’attraction mutuelle des astres suivant leurs distances, n’a fait que raisonner sur des observations connues, nous pourrions dire même vulgaires. Le phénomène de la pesanteur constaté sur tous les points du globe terrestre, l’attraction qui faisait dévier la lune de la ligne droite, étaient des faits que n’ignoraient ni Tycho-Brahé, ni Kepler, ni Fermât, ni Roberval, ni le docteur Hook lui-même. Newton, cependant, par un procédé qui peut paraître simple aujourd’hui, a su trier, au milieu delà grande quantité des faits, ceux qui lui étaient nécessaires, et choisir son inconnue. Ces procédés-] à, le génie seul les donne. 11 en est de même de la Lettre écrite à vingt-deux ans par Turgot à l’abbé de Cicé sur le papier-monnaie. Elle a été rédigée sans le secours des nombreux documents statistiques, en notre possession aujourd’hui. Elle n’en est pas moins conforme aux principes, aujourd’hui rigoureusement et scientifiquement établis, du crédit et de la monnaie. Toutes les distinctions subtiles relatives à la méthode ne peuvent donc qu’apporter, le plus souvent, du trouble dans les esprits. D’une façon générale, on peut dire que chaque savant manie la méthode, combine les deux opérations nécessaires qu’elle comporte, suivant la nature de son esprit, suivant aussi ses études antérieures et le but qu’il se propose

— but que souvent il n’entrevoit pas avec certitude. Il serait donc inutile et parfois même dangereux d’imposer à un esprit — surtout lorsqu’il est original — des règles de détail étroites. Les véritables chercheurs, du reste, savent bien s’affranchir de toutes les conventions artificielles de méthode, bonnes tout au plus pour l’enseignement. Aussi, nous proposons-nous ici bien plus d’analyser, en ce qui concerne l’économie politique, ces deux opérations de l’esprit : l’observation et le raisonnement, que d’indiquer des règles qu’il n’appartient à personne dé fixer définitivement. L’indépendance du savant,quant àïa méthode, se justifie par les résultats qu’elle donne. Quoique nous n’ayons point à nous occuper ici de la science sociale elle-même, il est cependant utile, pour rendre plus clair ce qui va suivre, d’indiquer, dans ses grandes lignes, tout au moins, l’objet de son étude, afin de déterminer, par réduction, le domaine d’investigation laissé à l’économie politique,