Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/250

Cette page n’a pas encore été corrigée

rême suivant, sous peine d’être envoyés aux galères ». On aurait pu croire qu’une pareille sévérité aurait raison de la mendicité, et cependant, dix ans plus tard, un témoin dont il ne peut être permis de contester ni la compétence ni la véracité, Vauban, pouvait affirmer qu’un dixième de la population de France était, réduit à la mendicité, et mendiait effectivement.

Ainsi, pendant quatre siècles, on lutta sans succès contre la mendicité, passant sans cesse d’une mesure à une autre, d’un tâtonnement à un autre. C’est qu’en effet ce mal social est de ceux dont la guérison est difficile, parce qu’il peut être la résultante d’un fait matériel, la misère, ou d’un vice moral, la paresse, et que le même remède ne saurait convenir à toutes les hypothèses. Donner l’assistance, c’est entretenir parfois la paresse ; mais frapper et réprimer sans discernament, c’est souvent atteindre des indigents dignes d’intérêt. Si la misère est générale, elle est elle-même la conséquence de la situation économique du pays, et il ne saurait être question de répression ; c’est ce que l’on n’avait pas compris. Il faut alors soulager les misères, chercher à corriger l’état social, si tant est que ce soit dans les possibilités humaines. Ceci est tellement vrai que, lorsque cette situation se modifie, elle fait disparaître la misère et, en même temps, la mendicité, qui en est l’expression visible. C’est précisément ce qui se produisit au milieu du xvm e siècle : l’industrie et le commerce avaient progressé et leur développement avait réduit le mal. Mais, à la fin de ce siècle, les événements politiques ayant gâté la situation des affaires, la plaie de la mendicité s’était rouverte, et sa guérison avait été une des premières préoccupations de l’Assemblée constituante. Un décret du 30 mai 1790 ordonna l’ouverture d’ateliers pour l’emploi des mendiants valides ; les pauvres invalides devaient être admis dans les hospices, et ceux étrangers au royaume dirigés sur la frontière. La loi du 24 vendémiaire an II organisa des travaux de secours et des maisons de répression pour les mendiants ordinaires ; elle condamnait à la transportation ceux en état de récidive ou contre lesquels se produisaient des circonstances aggravantes.

Sous l’Empire, on songea également à interdire la mendicité. Pour cela, on créa des dépôts de mendicité, destinés à recevoir les mendiants, après leur condamnation, et à leur procurer du travail. Nous avons fait ailleurs (V. Dépots de mendicité) l’histoire de cette institution, qui n’a pas tardé dans la pratique à perdre son caractère initial ; ces MENDICITÉ

dépôts, au reste, comme tous les établissements ouverts à la mendicité, ont moins pour résultat de détruire ce mal que de l’entretenir, voire même de le constituer. En même temps, le Code pénal, qui est encore en vigueur, n’érigea la mendicité en délit punissable que dans certains cas spécifiés (articles 274 et 275) ; il distingua notamment entre les mendiants valides et les mendiants invalides. Quant au vagabondage, le Code pénal en fait un délit, sans établir de distinctions.

. Conclusions.

En résumé, le seul enseignement que nous laisserait la description des mesures prises dans le cours des siècles contre les mendiants, serait l’inefficacité absolue de ces mesures, et la difficulté d’extirper complètement la mendicité.

La seconde conclusion nous paraît exacte ; il nous semble, en effet, qu’il y a un fond irréductible de mendicité ; car il y aura toujours des malheureux, que Tonne pourra ni assister suffisamment ni frapper ; il y aura toujours aussi quelques paresseux, qui parviendront à échapper à la surveillance de la police.

Mais la première conclusion serait exagérée ; elle serait surtout dangereuse. L’autorité ne saurait ici, sans péril, rester impassible et indifférente, la tolérance ne tardant pas à amener l’extension du mal. Il y a lieu toutefois de se préoccuper de la situation industrielle ou politique du pays. Aux époques de misère générale, les mendiants se font nombreux. Pendant le terrible hiver de 4870, le travail étant suspendu, des villages entiers allaient à l’aumône. L’invasion terminée, les ouvriers retournèrent à l’atelier ; la mendicité avait disparu avec le dernier soldat allemand. Les événements de 1848 avaient auparavant produit une recrudescence semblable de mendicité. L’application rigoureuse de lois sévères, dans de pareilles circonstances, serait odieuse et inique ; elle n’aurait, d’ailleurs, aucun effet, nous l’avons vu. La misère générale produit la mendicité générale, impossible à combattre ou à arrêter. Aux époques où le travail est régulier et où le pays ne souffre pas de la gêne, — et c’est l’état normal de nos sociétés contemporaines, — il y a lieu aussi de ne pas confondre dans une même répression toutes les catégories de mendiants ; il faut distinguer le paresseux de l’indigent digne d’intérêt. Il ne saurait être question de punir ces malheureux infirmes, ces vieilles femmes, qui vont dans leur village ou dans les localités avoisinantes quêter quelques morceaux de