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coup les plus nombreux ; les premiers qui n’ont jamais été plus de trois mille, ayant seuls les droits politiques, les autres privés de tout droit et de toute garantie. On comprend quel malaise social devait résulter d’un tel état de choses ; la mauvaise répartition des charges publiques l’augmentait encore. Florence suivit toujours une politique ultra-protectionniste ; les droits de douane étaient parmi ses meilleures sources de revenus. Le seul impôt direct, au xrv e et au commencement du xv e siècle, était l’impôt foncier, disposition paradoxale chez un peuple de commerçants ; les immeubles ne sont pas l’objet d’une prisée ; les riches craignant d’y perdre ont toujours fait échouer le projet d’en établir une évaluation, un estimo : sur ces immeubles, l’impôt est réparti au gré des répartiteurs contre l’arbitraire desquels il n’y a pas de recours régulier ; mais on agit sur eux par l’intrigue ; enfin, dans de certaines circonstances, l’impôt est progressif à rebours ! Florence n’avait pas de générosité pour les faibles ; elle manquait de justice sociale.

Seuls, entre les membres de cette oligarchie d’argent qui la gouvernait, les Médicis purent devenir les protecteurs des classes déshéritées. Pendant plusieurs générations successives, ils jouèrent ce rôle avec une persévérance et une adresse admirables. Ils lui durent une popularité indestructible ; les prolétaires ne cessèrent de voir en eux les représentants de cette justice dans la répartition des fruits du travail qui est l’idéal des ouvriers de tout temps et de tout pays. Salvestro des Medici fut celui qui inaugura cette politique de sa maison. En 1378, éclata dans Florence un véritable mouvement socialiste connu sous le nom de soulèvement des ciompi. Michel de Lando, un ouvrier cardeur de laine, en était le chef apparent ; mais il avait Salvestro pour conseiller et pour inspirateur. Ce mouvement réprimé, Salvestro sut conserver sa popularité auprès des vaincus ; il la transmit intacte à Veri des Medici, devenu après lui le chef de la famille. En 1399, les corps de métiers se soulèvent contre les arts ; ils offrent à Veri le pouvoir absolu. Il le refuse avec un désintéressement un peu suspect. Dès cette époque le pouvoir des classes privilégiées était ébranlé ; pour le soutenir, elles étaient obligées de s’abandonner à la direction d’une oligarchie despotique tirée de leur sein ; toute liberté était perdue à Florence, qui n’avait plus qu’à tomber sous un maître ; ce maître fut Giovanni des Medici,

Il fonda définitivement la grandeur de sa maison en contribuant pour sa large part

— MÊDICIS (les)

à une réforme bienfaisante et toujours désirée : le 22 mai 1427, une provision ou loi ordonna l’établissement du catasto (d’où notre mot cadastre). Le catasto avait le caractère d’un impôt unique ; il portait sur l’ensemble de la fortune nette de chacun ; il frappait les immeubles, les meubles, sommes d’argent, créances, troupeaux, bêtes de somme, revenus du trafic ou de l’industrie. Le revenu net était capitalisé à 7 p. 100. On défalquait du capital ainsi formé les charges qui le grevaient et, en outre, deux cents florins par chaque bouche à alimenter dans la famille, parents, enfants, serviteurs. Sur le net, l’impôt était de dix sous par cent florins, ou du dixième du revenu calculé à raison de 5 p. 100. Le catasto était révisable tous les trois ans.

Cet impôt, qui atteignait enfin les immenses fortunes des marchands et des banquiers, dont le capital mobilier avait jusque là échappé à toutes les charges, satisfît le populaire. Il valut une éclatante popularité à Giovanni des Medici qui eut, dans l’opinion, tout le mérite de son établissement. Il se rendit populaire encore d’autre façon : il était immensément riche et il savait prêter et faire crédit selon les besoins de sa politique ; du métier de banquier, il se fit un instrument de règne. Quand il mourut en 1429, il légua sa popularité à son fils Cosimo. Celui-ci, le fameux Cosme des Medici, est le personnage le plus remarquable de la famille. Il est’ l’allié des arts mineurs, qui le soutiennent invariablement. Il attaque avec eux la famille puissante des Àlbizzi, en ce moment chefs de l’oligarchie. Du reste, il est infiniment prudent dans sa conduite et de bonne heure, l’opinion, même de ses ennemis, le désignait comme le futurprince de Florence. Sa tactique était celle qu’ont suivie tous les ambitieux dans les États républicains : il n’aimait pas le populaire ; mais il le flattait pour s’en servir ; avant tout, il sut habilement user de son immense fortune ; il était de beaucoup le plus riche des Florentins ; il avait accru par lui-même la fortune énorme déjà que son père lui avait laissée ; il l’employa au profit de son ambition politique ; idole des basses classes qui voyaient en lui leur sauveur, il écarta, argent comptant, ses adversaires des classes privilégiées. Surtout, il se gagna par ses libéralités les artistes, les littérateurs, et tous ceux dont la voix crée l’opinion ; il est rigoureusement exact de dire qu’il acheta le pouvoir souverain dans sa patrie.

Quand il l’eut obtenu, il le conserva par une politique qui sent son manieur d’argent. Ses moyens sont ceux d’un homme d’affaires