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pui, le paysan refuse de porter ses denrées au marché, et l’armée révolutionnaire n’est pas là partout pour les lui enlever de force. La nuit, il fait six lieues pour voiturer ses grains dans le district voisin où le maximum local est fixé plus haut. Autour de lui, il sait quels particuliers ont encore des écus sonnants et, sous main, il les approvisionne. C’est pourquoi, de semaine en semaine, il arrive moins de farine, de blé, de bétail sur le marché, et la viande chez le boucher, le pain chez le boulanger deviennent plus rares. Les boutiquiers se sont ruinés ; car, attirés par le bas prix imposé par la loi, les chalands ont tout pris : ils n’ont vendu leur marchandise que bien au-dessous du prix qu’elle leur avait coûté ; ils ont dû bientôt cesser leur commerce. »

Ceux même qui, au sein de la Convention, avaient le plus fait pour l’établissement du maximum, reconnurent bientôt ses effets déplorables.

Le décret qui organise définitivement le maximum est du 11 brumaire an II (29 septembre 1793). Le 3 ventôse an 11(25 janvier H94), c’est-à-dire quatre mois après, voici ce qu’écrivait Barrère dans un Rapport fait à la Convention au nom du comité de salut public :

« Citoyens, la loi du maximum fut un piège tendu à la Convention par les ennemis de la République... On vida les boutiques, on ferma les magasins... L’effet désastreux du maximum commença à déployer son influence sur le commerce, sur les prix, sur les quantités des objets nécessaires à la vie des citoyens. »

Legendre constate que la viande disparaît des marchés et propose de décréter un carême civique. « Décrétez le carême que je vous propose, autrement il viendra malgré vous ; l’époque n’est pas éloignée où vous n’aurez plus ni viande, ni chandelle. » (Séance du 3 ventôse an II.)

Néanmoins, la Convention élargit encore les bases du maximum par une loi du 10 ventôse an II.

« Des manufactures à demi ruinées, disait Eschassériaux aîné, en frimaire an III (Opinion sur les causes de Vétat présent du commerce et de V industrie), des ateliers déserts, les matières premières manquant au travail de l’ouvrier... le commerce effrayé, découragé,les moyens et les éléments de l’agriculture diminués, une administration contre nature, contre tous les vrais principes, dirigeant tout, tel est le tableau de notre situation intérieure. »

Le 16 brumaire an III (6 novembre 1794) Cambon fait le procès du maximum. Petit exprime l’avis que la loi du maximum est une des causes de la pénurie où l’on se trouve. « Je la regarde, moi, dit Thibaudeau, comme désastreuse (vifs appl.,) comme la source unique de tous les malheurs que nous avons éprouvés. » (Séance du 17 frimaire, an III.)

C’est bientôt, dans la Convention, un toile général contre le maximum : nous sommes à la veille de son abrogation. Dans la séance du 2 nivôse an III, Eschassériaux propose de « rétablir les bases de l’économie politique de tout peuple commerçant. .. Pour arriver à la liberté, il a fallu donner à la Révolution une espèce de dictature sur les règles ordinaires, mais si nous voulons parvenir promptement à la prospérité nationale, il faut retourner aux principes : la société comme la nature ne marche qu J avec des lois constantes ; tout est désordre quand on en rompt le cours : en fait de commerce surtout, chaque infraction d’un principe est marquée par un embarras ou une détresse. »

Puis c’est Giraud qui, au nom des comités, fait à la Convention un Rapport où il développe les maux que la loi du maximum a fait au commerce et à l’agriculture, les maux plus grands encore qu’a entraînés celle des réquisitions par laquelle on a voulu remédier à la première.

Les comités proposent en conséquence l’abolition du maximum.

Le 3 nivôse, Richaud, Beffroy développent les mêmes idées qu’Eschassériaux sur la nécessité de la liberté du commerce. Bourdon (de l’Oise), à son tour, réclame énergiquement la suppression du maximum : « Le prix des bestiaux augmente dans une proportion effrayante... Les frais de culture sont tellement augmentés que le laboureur ne retire pas ses dépenses. Telle. est la position où nous a mis la loi du maximum. Les laboureurs sont hors d’état de faire les semences de mars si le maximum subsiste. » « Cette loi aussi immorale qu’absurde et destructive, contrariant tous les intérêts, coupa tous les liens de la société, brisa les ressorts de l’agriculture, du commerce, de l’industrie et des arts ; on l’avait prévu ; les travaux en tout genre diminuèrent progressivement, la reproduction n’eut plus lieu, le négociant trouva les portes fermées. » (Discours de Beffroy, 3 nivôse an III.) « Qu’est-ce qui a tué le commerce, anéanti l’agriculture ? Le maximum. Qui eût osé approvisionner la France de denrées de première nécessité, quand, sous peine d’être poursuivi, on était obligé de les donner pour moins qu’elles ne coûtaient, quand on les