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fait place au troisième, le système fiscal qui permet à la fois de procurer aux trésors publics, la plupart fort obérés, des ressources extrêmement précieuses et d’accorder aux influences protectionnistes une protection très suffisante, souvent excessive. A l’exception de l’Angleterre, de la Belgique et de la Hollande d’un côté, de la Russie et des États-Unis d’un autre côté, la plupart des États doivent être rangés dans cette troisième catégorie. Ces États ont renoncé à prohiber l’entrée des matières premières, sauf de très rares exceptions, ainsi qu’à les frapper de droits à la sortie. L’Italie cependant, pour contrarier l’industrie française des soieries et faire quelque argent, a maintenu des droits à la sortie sur la soie. Ces États ont remplacé la prohibition par des séries de droits. La plupart cependant admettent ou tendent à admettre en franchise les matières premières qui n’ont reçu que cette première préparation si bien décrite par Turgot : le coton brut, la laine en masse, les lins et les chanvres, les cocons, les soies grèges, les minerais de toute sorte, les bois, les peaux, etc., etc. A la suite de la politique commerciale inaugurée en 1860, on avait pu espérer que le principe de l’entrée en franchise de ces premières matières serait définitivement accepté. Mais la crise agricole et foncière qui a éclaté depuis 1878 et qui a duré dix années, a produit partout un courant protectionniste si violent que- les propriétaires producteurs de moutons, de bétail, de lin, de chanvre, debois, de cocons, etc. , réclament de tous côtés des taxes élevées de protection. Dans le tarif du 13 août 1890, dit de Mac Kinley, les États-Unis ont frappé de droits très élevés et très nombreux la laine brute, matière première par excellence. Si la matière première brute, telle que la laine, le coton, les Jins, les chanvres, les arachides qui n’ont reçu qu’une préparation qu’on ne peut comparer à une transformation, sont atteintes par des taxes douanières, il est clair que des taxes beaucoup plus fortes seront portées sur les matières piemières qui représentent de véritables transformations. De là, d’inextricables difficultés et des obstacles nombreux au développement de la productiondont les branches, déjà si variées, se compliquent encore, sous la pression des besoins et de la concurrence, au moment où les éléments de leur mise en œuvre sont menacés. Ainsi, la grande industrie des tissus mélangés ne peut continuer ses progrès si les divers tissus sont trop chers. De même pour l’industrie des produits chimiques, ou pour toutes celles qui ont pour base le bois.

Des chiffres récents permettent de faire toucher du doigt l’intérêt de ces questions et de montrer à la fois, dans quelques grandes industries, la fonction des matières premières et de leurs transformations. L’industrie des peaux en France emploie pour 100 millions de francs de peaux, venant la plupart de l’étranger ; elle les transforme en divers produits représentant 250 millions. L’industrie de la laine met en œuvre 61 millions de kilogrammes valant 388 millions, transformés en une multitude de lainages, représentant 1200 millions, dont 300 millions de salaires. L’importance de l’industrie de la soie est telle en France que 6 millions de kilogrammes de soie grège y affluent de tous côtés du globe. La France en transforme 4 millions ; ces produits valent un milliard. Faudrait-il écarter cette immense industrie pour favoriser les propriétaires qui ne produisent que 600 000 kilogrammes de soie grège ? Pour parer à tous ces embarras, les États ont eu recours à deux procèdes. Le premier est Vadmîssion temporaire (voy. ce mot). Ce système est surtout pratiqué dans l’industrie métallurgique. Les divers produits métallurgiques, fontes et fers de toute sorte, correspondant à diverses transformations, sont admis en franchise à condition d’une réexportation identique ; par ce moyen, les matières premières étrangères transformées n’entrent pas sur le marché intérieur et n’ont pas d’action sur les prix. Le second consiste à restituer le droit payé quand les matières premières introduites sont réexpédiées : c’est le drawback(Y. Pbimes et Drawsbacks). Quelquefois le drawbach est augmenté d’une prime afin précisément de favoriser les transformations que les taxes douanières devaient contrarier. C’est la contradiction prise en flagrant délit. Dans quelques industries secondaires, ces deux procédés peuvent valoir mieux que la prohibition ou que la taxation, mais ils ne sauraient convenir, en réalité, à ces grandes industries qui représentent les principales sources d’activité et de puissance des États, telles que la laine et la soie en France, le coton et le fer en Angleterre. Ces industries ont tous les peuples pour clients, le globe entier pour sphère. Tous les peuples sont tributaires de Reims, de Roubaix et de Lyon. Roubaix et Reims choisissent leurs laines en Australie, à ïaPlata, sur les Andes ; Lyon entretient des écoles ,sur les plateaux de l’Himalaya.

C’est de tous côtés que les peuples vont chercher ces matières premières auxquelles le genre humain ne cesse d’imposer de nouvelles transformations.

E. FOURMER DE FlAIX-