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diquer par quelles voies lentes et pénibles les diverses notions de la science économique ont dû passer et passent encore. En effet, avec Jean-Baptiste Say, le sens de la formule reçoit, pour ainsi dire, un nouvel accroissement. « Par matière première, enseigne-t-il {Cours complet d’économie politique, chap. v), il faut entendre non seulement les matières brutes qui n’ont reçu aucune façon, mais des produits déjà fort élaborés que l’on n’achète pas pour leur faire subir de nouvelles préparations. Le coton est une matière première pour le fileur, bien qu’il soit déjà le produit de deux entreprises successives : celle du planteur d’Amérique et celle du commerçant maritime qui le fait venir en Europe. Le fil de coton est à son tour une matière première pour le fabricant d’étoffes ; et une pièce de coton est une matière première pour l’imprimeur en toiles peintes. La toile peinte elle-même est la matière première du commerce d’indienne ; et bien souvent l’indienne n’est qu’une matière première pour la couturière qui en fait des robes et pour le tapissier qui en fait des meubles. » L’observation de Jean-Baptiste Say est fondée sur l’application d’un capital nouveau à chaque transformation de la matière ; elle atteste un grand progrès dans la connaissance et l’analyse des faits économiques. Il suffit d’assister aux discussions d’un tarif quelconque de douanes pour en saisir toute la portée. Depuis J.-B. Say, une nouvelle application du capital a eu lieu dans l’industrie du coton, application plus complexe encore que les précédentes. Les tissus mélangés de coton, de laine, de soie, de lin, ont été inventés ; ils ont pris une très grande importance. Il est évident qu’un tissu mélangé — laine et coton — ou coton et soie (on peut faire varier bien des fois les combinaisons) ne saurait exister sans la variété des fils. Ici, c’est la variété qui constitue la matière première.

On peut ajouter un exemple non moins saisissant à celui choisi par J.-B. Say. C’est celui de la transformation des minerais de fer en fonte, en fer, en acier, exigeant trois applications coûteuses du capital qui toutes fournissent des matières premières. Pour un steamer en acier, la fonte et le fer ne sont plus des matières premières. Il en est de même de la plupart des métaux et des métalloïdes. L’acide suif urique ne peut être qu’une matière première. L’or, l’argent, le cuivre, rétain, le plomb, redeviennent aussi des matières premières. Il en est de même de la plupart des produits que la chimie manipule. Carey a continué le développement donné par J.-B. Say à la formule Matières premières. Carey, mieux que tous les économistes qui Pont précédé, s’est attaché à indiquer les liens intimes existant entre la production et la matière, envisagés d’une manière générale. La matière, sans répondre aux sollicitations de l’homme dont les besoins grandissent avec la civilisation et le temps, se prête à de nombreux changements de formes et de lieux (Science sociale, t. I er , p. 248-249) ; à chaque changement correspond une forme nouvelle qui est une matière première pour la forme suivante, tout en exigeant un capital nouveau. C’est l’idée de J.-B. Say généralisée et présentée sous un aspect plus scientifique. Les deux éléments de la formule matières premières se ramènent par suite : 1° à une forme nouvelle de la matière ; 2° à une application du capital.

Telle est, à peu près, la théorie de Stuart Mill (Principes, livre I er , chap. I er et iv), bien que Stuart Mill exprime ses idées avec une concision qui a nui sur ce point à la clarté. Roscher, au contraire, dans son Mémoire sur le siège des différentes branches de l’industrie (Recherches d’économie politique) a eu souvent occasion d’insister sur les transformations successives nécessaires pour fournir des matières premières à de nombreux centres industriels.

Reste à présenter une définition qui, tenant compte des notions et des éléments contenus dans les définitions précédentes, donne une idée scientifique de la formule Matières premières. Les matières premières seraient les formes de la matière nécessitant une nouvelle appropriation, par suite une nouvelle application du capital et du travail, pour répondre aux besoins de la consommation. A la variété des besoins, qui s’étendent avec la civilisation, correspond précisément cette sorte d’échelle graduée des matières premières, ébauchée par les physiocrates et définitivement établie par A. Smith, J.-B. Say et ■ Carey.

. Questions qui s’y rattachent.

Plusieurs questions d’un haut intérêt sont en relations très étroites avec les notions et les éléments compris dans la formule Matières premières. Nous ne pouvons que les indiquer succinctement en les accompagnant de quelques très courtes réflexions. 1° Quelles distinctions faut-il maintenir entre les subsistances et les matières premières ? 2° Quelle importance conservent les diverses matières premières, d’après les transformations de la matière, dans l’œuvre de la production générale V 3° Quelle influence ces transformations exercent-eiles sur la rente du sol, les profits