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vernements responsables, figuraient en première ligne la loi de la population et la tendance irrésistible de l’homme à obéir à la passion qui le pousse à se reproduire de manière a dépasser ses moyens de subsistance. Cette tendance, l’auteur de l’Essai l’accusait au moyen d’une formule mathématique des plus saisissantes en affirmant, d’une part, que, « lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doublant tous les vingt-cinq ans et croît, de période en période, selon une progression géométrique » et, d’une autre part, « que les moyens de subsistance dans les circonstances les plus favorables à l’industrie ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon une progression arithmétique », Seuls, les « obstacles répressifs » du vice et de la misère rétablissent l’équilibre, mais en condamnant l’espèce humaine à des souffrances que les progrès de l’industrie et la réforme des abus ne peuvent alléger que d’une manière temporaire. Un examen plus mûr de la question eut toutefois pour résultat de rectifier les idées de l’auteur et de le mettre en garde contre les conséquences pessimistes de sa formule. Dans la seconde édition de son Essai, il ajouta aux obstacles répressifs de l’excès de population un obstacle préventif qu’il désigna sous le nom de « contrainte morale», et qui n’est autre que la prévoyance intelligenteetla force morale, avec lesquelles l’homme combat l’intempérance en matière de reproduction aussi bien que ses autres passions dans ce qu’elles ont d’excessif {V. Population). Ainsi rectifiée, la théorie de Mal-Ihus échappait aux reproches fondés dont elle était l’objet, et elle avait le mérite de faire au libre arbitre de l’homme une juste part d’influence sur sa destinée. Mais la première impression causée par le pessimisme originaire de cette théorie ne s’effaça point, et Malthus continua d’être qualifié d’ennemi de l’espèce humaine et de contempteur du progrès. En vain il déclara que « l’objet pratique qu’il avait eu en vue, quelque erreur de jugement qu’il eût pu commettre d’ailleurs, était d’améliorer le sort et d’augmenter le bonheur des classes inférieures de la société », en vain il se justifia d’avoir recommandé, sous la dénomination de contrainte morale, des pratiques immorales et malsaines, en déclarant qu’elle n’était autre que « celle qu’un homme s’impose à l’égard du mariage par un motif de prudence, lorsque sa conduite pendant ce temps est strictement morale » ; on ne tint aucun compte de ses protestations et l’on ne cessa point de qualifier do malthusiennes des pratiques que l’honnête clergyman économiste avait hautement condamnées. La théorie do Malthus n’exerça pas moins une influence salutaire en contribuant à la réforme de la loi des pauvres en Angleterre. Ajoutons que c’est la lecture de l’Essai sur le principe de population qui a suggéré à Darwin l’idée de la sélection naturelle par la lutte pour l’existence.

Les autres ouvrages de Malthus, les Principes d’économie politique, les Définitions, etc. , n’ont, en comparaison de l’Essai, -qu’une faible importance . Les Principes consistent en une série de dissertations sans lien apparent, sur quelques notions fondamentales, telles que la nature, les causes et la mesure de la valeur, la distinction entre la richesse et la valeur, les progrès de la richesse, les profits du capital et la rente de la terre (voy. ce mot), dont Malthus avait exposé la théorie avant Ricardo, qui se plaisait, du reste, à lui en reconnaître la priorité. Les Définitions ont pour objet de préciser le sens des termes de la science tout en respectant la nomenclature en usage. Malthus entretint une correspondance suivie, sur diverses questions économiques, avec Ricardo et Jean-Baptiste Say. Les lettres de Ricardo à Malthus ont été publiées par M. James Bonar. Les lettres de Malthus n’ont pas été retrouvées. Les Lettres à Malthus de Jean-Baptiste Say ont été écrites pour réfuter quelques-unes des théories contestables des Principes. Malthus n’était point, en effet, exempt des préjugés de son temps et on pourrait ajouter du nôtre sur le danger d’un encombrement général des marchés, l’applicabilité du principe de la liberté commerciale et la nécessité de l’intervention du gouvernement. C’était un économiste conservateur, mais ce n’était point un esprit rétrograde et un cœur fermé aux souffrances de l’humanité. Malgré l’impopularité qui s’est attachée à son nom et de quelque manière que l’on apprécie sa théorie de la population (V. Population), il mérite d’être compté au nombre des maîtres honorés de la science économique.

G. de Molinabi.

Bibliographie.

Le premier et le plus célèbre ouvrage de Malthus a paru en 1708 sous ce titre :

I, — An Essay on the principle af population, as it affects the future improvement of Society. Londres, 1 vol. in-8» (anonyme). Cinq autres éditions ont été publiées du vivant de l’auteur et sous son nom ; 2 e édit., 1805, 2 vol. ; 3« édit., 1806 ; 4° édit., 1807 ; 5 e édit., 1817 ; 6 e édit., 1826. Quatre éditions de la traduction française de cet ouvrage ont été. successivement publiées sous des titres différents. ° Bssai sur leprincipe dépopulation ou Recherches sur l’influence de ce principe sur le bonheur de V espèce humaine dans les temps anciens et modernes, suivi des moyens propres à adoucir les maux dont ce même principe est la cause et du tableau des ’espérances que Von peut concevoir à ce sujet. Traduit de l’anglais par P. Prévost, professeur de physique à Genève f Genève et Paris, J.-J. Paschoutl, 1SQS).