Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/208

Cette page n’a pas encore été corrigée

série de mesures fiscales dirigées exclusivement contre les grands magasins. Ces mesures pourront retarder le développement des magasins existants et porter un préjudice considérable aux chefs ou aux sociétés qui les exploitent. Mais elles seront impuissantes à reconstituer Tordre de choses ancien. L’étude attentive des faits et le raisonnement démontrent, en effet, que la concentration du commerce en grands magasins n’est pas le produit d’une spéculation factice, mais révolution logique d’un état de choses qui ira toujours en s’accentuant, parce qu’il répond exactement aux besoins nouveaux de la société.

Dire par quelles transformations successives a passé cette évolution commerciale, raconter les étapes successives du changement que nous voyons s’opérer sous nos yeux, énumérer les nombreuses tentatives qui depuis plus d’un siècle ont été faites pour arriver au résultat actuellement acquis, ce serait refaire l’histoire du travail et revenir inutilement sur des faits trop connus. Il est plus intéressant de pénétrer les causes du succès extraordinaire des grands magasins et d’expliquer comment ils ont su gagner et conserver la faveur du public. Mettre le consommateur en rapport avec le producteur, concentrer sous un même toit tous les services disséminés dans cent endroits différents, de manière à diminuer les frais généraux et à les répartir sur un nombre considérable de consommateurs, offrir à une démocratie nouvelle dont les besoins et les habitudes se modifiaient les moyens de les satisfaire à meilleur compte que les générations précédentes, obtenir la plus grande somme possible de travail du personnel par la spécialisation des intelligences et la division du travail, tels sont les principaux articles du programme que la concentration du commerce en grands magasins devait réaliser. Le premier service que les grands magasins ont rendus au public a été de supprimer ce monde de courtiers et de commissionnaires qui, dans l’ancien commerce, s’interposait entre le producteur et le consommateur. Sur ce point, ils n’ont eu qu’à imiter la grande industrie qui déjà les avait précédés dans cette voie. Dès l’invention des chemins de fer et de l’électricité, les manufacturiers s’étaient ingéniés à faire venir la matière première, charbon, coton, laine, soie, de leur lieu d’origine ou tout au moins de concentration sans passer par la filière onéreuse et gênante des intermédiaires. Les grands magasins ont pu ainsi livrer au consommateur des produits à des prix un peu au-dessus du gros, souvent à des prix égaux à ceux du gros. En même temps, comme les grands magasins pouvaient obtenir des conditions exceptionnelles de la part des manufacturiers auxquels ils commandaient à la fois d’énormes quantités de marchandises et présentaient un crédit à toute épreuve, ils s’attachaient à multiplier le nombre des transactions de détail en se contentant sur chacune d’elles d’un faible bénéfice. Il est évident que dans ces conditions le boutiquier qui achète aux mômes manufacturiers des quantités minimes et dont souvent le crédit n’est pas sûr, ne peut pas obtenir les mêmes conditions que son grand concurrent et faire bénéficier sa clientèle des mêmes avantages. Ainsi donc les grands magasins ont commencé par obtenir la diminution des prix de revient et la réduction des frais généraux qui varient de 13 p. 100 à 40 p. 100, selon qu’ils s’appliquent à un magasin de grande concentration ou à un magasin moyen ou petit. La loi est formelle : dans un même pays, les * frais généraux sont en raison rigoureuse- f ment inverse du chiffre des affaires. En voici des exemples bien frappants. On sait qu’il existe en Angleterre tout un ensemble de Sociétés coopératives correspondant à toutes les classes de la société. La plus importante de ces Sociétés, Army and Navy, a acheté dans le cours de 1888 pour 59 267 500 francs de marchandises qu’elle a revendues à ses membres au prix de 62 772 375 francs. Les dépenses d’exploitation ont été dans la proportion de 8 p. 100. L’association Civil Service a acheté pour 38 838 325 francs de marchandises qui ont été vendues aux adhérents pour 43 311 915 fr. Les dépenses d’exploitation ont été de 8,29 p. 100. Une autre Société, Civil Service Coopération Society, a fait, vente et achats compris, pour 22 66o 700 francs d’affaires. Les frais d’exploitation ont atteint la proportion de 11,32 p. 100. La Société Junior Army and Navy, bien inférieure en importance à son aînée, a fait un chiffre d’affaires de 25 323090 francs. Les frais d’exploitation ont été de 12,84 p. 100. En France, nous relevons les mêmes résultats. L’Association coopérative des employés civils, de récente formation, voyait à ses débuts les frais généraux dépasser 14 ou do p. 100. Dans le premier semestre de 1887, les frais généraux représentent 12,99 p. 100 du chiffre total des affaires. Pendant le second semestre, le chiffre des affaires s’étant élevé, la proportion des frais généraux n’est plus que de 11,86 p. 100. En 1889, le chiffre d’affaires du premier semestre est de 1 129 855 francs donnant une proportion de 9,12 pour 100 pour les frais généraux ; pendant le second semestre de cette même année, le chiffre d’affaires s’élève à