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en formation tendre à se consolider si, d’ores et déjà, on la prévient qu’une lourde taxe l’attend au moment de son épanouissement ? « Votre prétendu stimulant, dit Rossi, n’est qu’un retard à l’accroissement du capital et, par là, à l’accroissement de la production ». L’argument se retourne donc contre ses auteurs. Le contraire même de leurs prévisions se réaliserait, si jamais leurs projets aboutissaient à une exécution pratique. La guerre entreprise contre le capital fixe aboutirait à son résultat logique ; l’impôt restreindrait l’épargne en l’inquiétant, et la partie des richesses du pays, la plus respectable puisqu’elle sert incessamment à reproduire toutes les autres, se trouverait atteinte à sa source même.

Enfin, dit-on en dernier lieu, — et c’est à cet argument que nous nous attacherons spécialement, — l’impôt sur le capital a l’avantage de frapper certaines valeurs que l’impôt sur le revenu est impuissant à saisir. Toutes les richesses non productives de revenu, par exemple, n’offrent — leur titre l’indique suffisamment — aucune prise à l’impôt sur le revenu. Si l’impôt sur le capital n’était pas là, elles profiteraient d’une exemption que rien ne justifie. Voilà peut-être la seule raison irréfutable parmi les trois que nous avons citées. Voyons à quoi elle se réduit.

Quelles sont effectivement les richesses dépourvues de revenu qui deviennent ainsi le monopole exclusif de l’impôt sur le capital ? On ne saurait en découvrir d’autres que les suivantes : 1° les meubles, objets d’art, bijoux, statues, collections, tableaux, etc. ; 2° les jardins, parcs, pièces d’eau et terrains d’agrément ; 3° les terrains nus conservés par spéculation.

En dehors de ces trois catégories de valeurs, aucune autre, faute de revenu, ne tombe exclusivement sous les coups de l’impôt sur le capital.

Lors donc qu’on a parlé des somptueux mobiliers, des galeries de tableaux de maîtres, des collections précieuses, des parcs grandioses, des chasses princières, apanages des grandes fortunes, enfin, des terrains à bâtir que d’avides spéculateurs refusent de vendre dans l’espoir d’une plusvalue d’avenir, on a tout dit au sujet du monopole de l’impôt sur le capital. Voilà bien son domaine exclusif : il ne va pas au delà.

Les richesses qui viennent d’être énumérées occupent-elles une place assez considérable dans l’ensemble des richesses sociales pour que la réforme de leur imposition suffise à justifier la transformation radicale des base»" mêmes de notre législation fiscale ? D’ailleurs, l’impôt sur le revenu ne parvient-il pas actuellement, dans une certaine mesure, grâce aux détours de son incidence, à saisir ces valeurs exceptionnelles ? Tout au plus, en conséquence, conviendrait-il d’imiter les cantons suisses qui juxtaposent, nous l’avons vu plus haut, un impôt sur le capital à l’impôt sur le revenu, afin d’atteindre directement, par le moyen de l’un ou de l’autre, toutes les richesses sans exception. Une telle combinaison mériterait d’être discutée.

Mais il est inutile de s’y arrêter pour le moment, car les partisans de l’impôt sur le capital n’admettent pas de terme moyen : ils condamnent absolument l’impôt sur le revenu et répudient toute association avec lui.

Alors une grave objection, puisée dans l’ordre d’idées même qui nous préoccupe, se retourne contre l’impôt sur le capital. Car, si celui-ci possède le monopole de l’imposition de certaines valeurs, il voit, par contrepartie, un beaucoup plus grand nombre d’autres valeurs, infiniment plus importantes, lui échapper ; de sorte que le fisc se trouverait, en définitive, très gravement lésé par le fait de son règne unique.

Ces valeurs, que l’impôt surle revenu monopolise alors, à son tour, sont, d’une manière générale, tous les fruits du travail personnel de l’homme. Leur nomenclature détaillée embrasse un champ considérable, qui comprend les salaires des ouvriers, les gages des employés, les traitements des fonctionnaires, les pensions des retraites, les émoluments des chefs, directeurs, agents, commissionnaires et intermédiaires de toute nature, les bénéfices industriels et commerciaux pour la part ne formant pas la rémunération du fonds social, les gains annuels des artistes, peintres, sculpteurs, chanteurs, avocats, écrivains, professeurs, inventeurs, etc. Tous ces revenus provenant du travail personnel de l’homme représentent une partie d’autant plus étendue de la richesse sociale que la civilisation» en se développant, féconde davantage l’activité individuelle.

Or, ces revenus ne correspondent à aucun capital, à moins que Ton ne considère l’homme lui-même comme un capital, ce qui peut être vrai au point de vue de l’économie politique, mais non pas au regard du fisc. L’homme est un capital, sans doute, le plus riche de tous souvent ; mais l’impôt ne saurait se permettre de le considérer, ni surtout de l’apprécier sous cet aspect. L’impôt ne peut s’adresser qu’aux profits annuels que la personnalité humaine est capable de produire