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qu’essaya d’établir la Révolution, bien qu’elle eût proclamé partout et qu’elle proclamât encore théoriquement la liberté du travail. La liberté des contrats apportait avec elle une responsabilité pour l’individu, inconnue auparavant. Cette responsabilité devait être protégée par une liberté assurée des personnes et des biens. Les hommes de la Révolution qui n’avaient qu’une idée vague de la liberté du travail ne virent nullement l’importance de la fonction du commerçant et de l’industriel ; et lorsqu’ils prirent îes règlements et les moyens de l’ancien régime pour sauver le nouveau, ils ne s’aperçurent pas qu’ils ne faisaient qu’enfoncer plus avant dans l’opinion publique l’idée, qu’en matière économique tout comme en matière militaire, la raison suprême est l’État. Ils confondaient ainsi les attributions nécessaires de l’État avec les attributions qui doivent appartenir aux particuliers.

Nous souffrons encore aujourd’hui de cette confusion. Les plus beaux discours, et même certaines mesures comme les traités de 1860, ne l’ont pas effacée de l’esprit public. Et puis, par une sorte de fatalité, la guerre vient toujours apporter chez nous un élément de recul à chaque pas que nous faisons vers la liberté. Latriste guerre de 1870, en changeant le courant des affaires, en nous apportant des charges nouvelles, a préparé la réaction économique dont nous subissons maintenant les effets. Moins peut-être qu’au moment de la Révolution, le personnel politique actuel est susceptible de comprendre les avantages de la liberté économique, entraîné qu’il est par l’exemple des États-Unis et de la plupart des pays d’Europe. Outre les causes que nous avons sommairement indiquées plus haut, bien d’autres encore, que nous ne pouvons énumérer ici, ne font pas prévoir le dénouement prochain de cette crise. La vieille organisation par l’autorité livre sa dernière bataille, il est vrai, mais cette bataille sera longue et cruelle. Nous savons que l’autorité a pour elle les préjugés populaires, l’ignorance des lettrés, les appétits toujours grandissants des monopoleurs, l’incapacité même de ceux qui la défendent sans bien la comprendre parfois ; nous savons encore que la liberté engendre des accaparements surtout quand elle n’est pas complète, et que tous ces inconvénients d’une époque de transition ne peuvent être effacés et détruits en peu de temps. Il suffit cependant que la liberté soit entrée sous certaines de ces formes dans nos mœurs, dans nos habitudes, pour qu’elle fasse graduellement sa part plus grande, qu’elle prenne sa place définitive.

Un pays fait peut-être exception à cet entraînement général vers les mesures autoritaires, quoique, à certains indices, on reconnaisse que le mal universel fasse aussi son œuvre chez lui. En Angleterre, la liberté économique, a eu, au point de vue historique, une marche plus prospère que partout ailleurs, les réformes, réclamées, la plupart du temps, par une grosse partie de l’opinion publique, ont été parfois lentement mais presque toujours solidement établies. Lorsque, dans ce pays, les partisans de la liberté arrivèrent au pouvoir, ils purent lutter efficacement contre les obstacles parlementaires, appuyés qu’ils étaient sur le sentiment public. C’est ainsi qu’Huskisson parvint à modifier dans un sens libéral la vieille législation de l’Angleterre en matière de navigation, malgré les puissants et antiques préjugés qui défendaient ce monopole. Il en fut de même pour toutes les mesures libérales obtenuespar Robert Peel.Enfinles campagnes libre-échangistes de Cobden et de Brigth devaient donner à l’Angleterre la liberté commerciale, cause de la prospérité économique dont elle jouit aujourd’hui. (V. Turgot, Hdskisson, Cobden, etc., etc.)

André Liesse.

LINGUET (Simon~NieoIas-Henri),néa Reims le 14 juillet 1736, mort à Paris le 27 juin 1794. Il eut une existence agitée et tourmentée s’il en fut ; mêlée de succès et de chutes, de faveurs et de persécutions, partagée entre les cours et la Bastille, et terminée tragiquement ; il fut condamné et exécuté sous la Terreur, pour avoir encensé les despotes de Londres et de Vienne, et calomnié le pain, la nourriture du peuple. En effet, petit-fils de fermier, fils d’un professeur persécuté pour jansénisme, il dut à ses précoces succès au collège d’être le secrétaire ou l’aide de camp du duc des Deux-Ponts et du maréchal de Beauvau, puis d’être accueilli en homme célèbre partout où le porta sa vie voyageuse. Mais petit, âpre et acerbe, âpre au gain, avare, orgueilleux, aigri et mécontent, il se brouilla toujours plus vite avec ses protecteurs et ses amis ; avocat brillant, il songea plus à éclipser ses confrères qu’à défendre ses clients et fut deux fois exclus du barreau. Aussi vécut-il inquiet et troublé, toujours armé jusqu’aux dents, soit chez lui, soit dehors, et n’a ni laissé d’oeuvre bien complète, ni conquis la place que lui méritait son talent. Il avait le génie de l’attaque et de la polémique ; et s’il figure ici, c’est qu’il a rudoyé ferme et fort malmené les physiocrates et écrit, par suite de cette polémique, nombre de brochures ou d’articles se rattachant aux