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réponses faites par le nouveau monde aux interrogations de l’ancien monde ont ceci de particulier, qu’elles n’ont de valeur que relativement aux affaires du nouveau monde, étant admis d’ailleurs qu’il s’agisse de faits correctement établis.

Quand pour la première fois les États-Unis ont prisleur place dans la famille des nations, la logique de leur révolte contre les lois de navigation et le système colonial aurait dû les conduire à adopter une politique de libre échange. D’un autre côté, du moment qu’ils entraient dans la famille des nations à titre de membre indépendant, ils devaient considérer comme leur étant applicables toutes les doctrines en honneur appliqués par les nations indépendantes dans la direction de leur industrie nationale. Aussi les écrits américains de la période qui a suivi la révolution sont-ils remplis des plus extraordinaires contradictions. Le même homme politique, dans des occasions différentes, très rapprochées l’une de l’autre, tantôt se prononce pour les doctrines de la liberté commerciale la plus absolue, et tantôt revient à la doctrine des lois de navigation comme fondement de la politique de la nouvelle nation ; de sorte que le système qui faisait la ruine de la colonie quand il était imposé par les hommes d’État du dehors, devenait avantageux pour l’État devenu libre, quand il se l’imposait à lui-même. Si l’Europe, et spécialement l’Angleterre, avaient accueilli avec plus d’intelligence les efforts des Américains, l’Amérique aurait, par des arrangements réciproques, établi une liberté sans précédent et toute l’histoire des relations commerciales pendant le xix e siècle se serait développée dans des conditions absolument contraires. La politique des États-Unis, avant la guerre civile, a si souvent varié et a été, en somme, influencée dans une si faible mesure par les lois de protection, qu’on peut ne pas s’y arrêter, A partir du milieu du siècle, l’abolition des lois sur les céréales en Angleterre a ouvert le marché des grains à l’Amérique du Nord et les progrès rapides de la navigation à vapeur ont rendu possible le développement économique des champs de blé de l’Amérique du Nord. Un état de choses absolument nouveau s’est alors révélé. Sous prétexte d’impôts pour la guerre civile on a établi des droits protecteurs sur un très vaste plan. Les droits en question devaient s’appliquer, on le disait du moins, à toutes les industries manufacturières et à toutes les industries agricoles ayant des liens avec l’industrie manufacturière. C’était un plan qui avait en apparence une immense extension et, politiquement du moins, cette il.

extension était réelle. Mais, en fait, la protection ne s’est jamais fait sentir dans de larges proportions qu’au profit des industries métallurgiques et textiles situées dans les États du Nord-Est. Ces États possédaient des industries strictement localisées dans la limite de leur territoire et ils trouvaient dans le sud et dans l’ouest du pays un magnifique domaine à exploiter. Ce domaine était peuplé de travailleurs agricoles, producteurs des denrées et des matières premières et acheteurs de produits fabriqués ; et la législation nationale les entourait comme d’un cordon en les séparant du reste du monde. Cette législation assurait bien le jeu de l’offre et de la demande entre les diverses parties du pays mais dans les limites et sous les conditions crées parle tarif pour l’extérieur. Si la Pensylvanie avait été un État souverain indépendant, rien n’eût été plus absurde que d’y pratiquer un tarif semblable à celui qui est appliqué aujourd’hui à l’Union. Le système protecteur américain, comme il se comporte, consiste à renfermer dans une frontière donnée d’abord un groupe d’industries protégées et ensuite un autre groupe d’industries fournissant les moyens de protéger le premier. Ces deux groupes sont accouplés l’un à l’autre et en même temps séparés du reste du monde. C’est là le système colonial et de navigation réalisé dans des conditions qui dépassent tout ce qu’avaient pu rêver les hommes d’État- du vieux temps. Il couvre une étendue presque double de celle de l’empire romain. (Wietersheim, Bevôlkerung des Mmischen reiches, 66.) Dans toute l’étendue de ce territoire le libre-échange est absolu au poini de vue intérieur ; c’est comme un monde organisé sur la base de la liberté du commerce. Si donc Rodbertus a raison quand il parle de l’exploitation par les centres de civilisation des continents excentriques jouissant dans l’empire romain de la liberté commerciale, on peut dire la même chose des parties anciennes et peuplées des États-Unis exploitant les nouveaux territoires de la même manière mais dans une proportion infiniment plus grande. Cependant, si on regarde les États-Unis comme un monde en eux-mêmes, abstraction faite du reste du monde, l’idée de cette exploitation s’évanouit. Il faut nécessairement, pour en constater la réalité, ne pas s’abstraire de ce qui se passe dans le reste du monde et se rendre compte des occasions dont se sont privés les Américains avant de s’apercevoir qu’il y a exploitation. Aussi, le paradoxe de Rod- ■ bertus est-il d’abord mis en lumière du côté où il est vrai ou du côté où il contient des il