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ment, en 1842, Robert Peel, profitant de l’expérience acquise à la suite de la série des tentatives antérieures, restaura cet impôt sur des bases solides, qui subsistent aujourd’hui. En France, après les événements de 1870- 1871, des droits nouveaux furent établis sur les papiers, la chicorée, les allumettes, les bougies, les savons, la petite vitesse, etc. Bien que ces créations nouvelles ne représentassent qu’une part minime des 650 millions dont le budget avait alors besoin, elles suscitèrent tant d’embarras qu’au bout de peu d’années il fallut les sacrifier presque toutes. Aujourd’hui, les taxes sur les savons, la chicorée, la petite vitesse, le papier ont cessé d’exister, et des diverses innovations de 1871, la taxe sur les bougies reste seule intacte.

De tels échecs incriminent-ils le génie organisateur de l’administration ? Nullement. Celle-ci ne pouvait faire mieux, à l’égard d’industries qu’elle connaissait à peine au moment où sa main les saisissait pour la première fois. Le temps seul, si on eût voulu persévérer, lui aurait permis d’améliorer progressivement ses moyens d’action et d’arriver, peu à peu, à la perfection relative dans ses procédés de taxation . Incidence et translation de l’impôt. — Un second point de vue d’ailleurs découvre mieux encore les mérites de l’ancienneté de l’impôt.

On connaît les mille répercussions que font subir aux charges fiscales leurs incidences successives. Chacun s’efforce de rejeter sur son voisin le poids des taxes qui l’incommode. La translation de l’impôt est un phénomène incessant, lequel finit, peu à peu, par produire sinon la justice complète, du moins le plus grand allégement possible. Le fardeau porté d’épaule en épaule devient moins sensible, en se disséminant ; les frottements trop durs sont atténués ; les angles blessants s’arrondissent, les plaintes s’apaisent. Puis, l’habitude aidant, on supporte plus patiemment le mal qui subsiste encore ; Tel est l’effet du temps. « Quelques impôts iniques au moment de leur établissement, dit M. Paul Leroy-Beaulieu, ont fini par devenir presque équitables au bout de longues années, parce que bien des personnes lésées ont disparu, ou parce qu’elles ont trouvé, par quelque moyen, tels que la hausse des salaires ou celle de l’intérêt, une compensation. L’équilibre, cependant, est très long à se produire. »

Cette théorie, toutefois, ne peut être poussée jusqu’à l’absolu. D’abord, comme le dit M. de Parieu, il serait irrespectueux de comparer l’impôt à une paire de chaussures qui prend mieux le pied, qui cesse de blesser après un long usage. Puis, l’impôt n’est pas forcément condamnable parce qu’il est nouveau, comme, inversement, il ne devient pas de plein droit respectable en raison de son grand âge. Dans certaines situations d’ailleurs, en face de nécessités pressantes, il faut se résoudre, quand même, à innover. Mais ces situations et ces nécessités sont rares, elles sont extrêmes ; l’Angleterre en a subi de telles à la fin du xvnr 9 siècle, la France après 1870-1871. Encore, à ces deux époques, ne s’cst-il agi que de créer des suppléments de ressources, en respectant l’ensemble du système existant. Aujourd’hui, au contraire, certains projets réformateurs voudraient, non seulement expérimenter une série de taxes nouvelles, mais supprimer corrélativement toute une catégorie de taxes anciennes en pleine vigueur. L’effet de cette double épreuve ne se ferait pas attendre et la ruine de nos finances démontrerait promptement pourquoi la science fiscale condamne avec raison ces transformations radicales.

En résumé, les qualités dont il convient de doter l’impôt sont, d’après Adam Smith, la justice, la certitude, la commodité et l’économie, auxquelles on peut ajouter, d’après l’expérience plus contemporaine, l’absence de contact entre les agents du fisc et le public, la recherche exclusive des intérêts du Trésor, la multiplicité et l’ancienneté. Il nous reste maintenant, après ces considérations générales, à étudier les formes effectives de l’impôt.

in. FORMES ET SYSTÈMES D’IMPOTS. Dans cette troisième partie, malgré les apparences de son titre, on ne s’attachera pas à décrire le mécanisme de chacun des impôts existants et les règles de leur perception ; des détails aussi techniques sortiraient de notre cadre. Il s’agit exclusivement ici d’envisager Vimpôt sous son aspect théorique, et non pas les impôts dans leurs détails, comme le ferait un traité spécial. Nous passerons donc seulement en revue les formes principales que l’impôt peut revêtir et les divers systèmes mis en avant à son sujet, en adoptant l’ordre des divisions suivantes : impôt sur le capital et impôt sur le revenu ; impôt en nature etimpôten argent ;impôt de capitation ; impôt proportionnel et impôt progressif ; impôt direct et indirect ; impôt de répartition et de quotité ; impôt sur les valeurs mobilières et immobilières ; impôt sur les consommations ; impôt sur le luxe ; impôt sur la propriété et impôt sur les objets de première nécessité.