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sions, fugitives il est vrai, mais dans le sens de la liberté.

Déjà, à la fin du xvi e siècle, les écrivains espagnols commencent à s’étonner de la contradiction de leur expérience avec les opinions reçues relativement à la source de la grandeur et de la prospérité des nations. Rivaneidra pense que les marchands sont ce qu’il y a de mieux après les paysans, parce qu’ils emportent ce qui est superflu et apportent ce qui manque. Par la navigation, le monde devient une foire abondante. Tous jouissent de tout ce qui est à la foire ; mais il faut prendre garde que les objets de luxe ne soient introduits et que les choses durables comme l’argent ne soient emportées. Perez se demande si les Indes ont été un châtiment ou un bienfait de la Providence. Au xvn e siècle, l’activité littéraire dans tout ce qui a rapport à ce sujet a été très grande. De temps en temps un auteur émet quelques idées indépendantes. Saavedra dit que les fruits de la terre sont la richesse par excellence, que les paysans se sont arrêtés de labourer quand l’or de l’Inde a commencé à venir. Il parle comme d’une chose peu sérieuse des tentatives faites pour introduire de l’or. En général cependant, lui et les autres répètent les mêmes choses : ils pensent que les étrangers sont venus en Espagne, qu’ils en ont emporté les matières premières que l’Espagne produit mieux que les autres pays ; qu’ils les ont transformées en objets manufacturés chez eux à l’étranger, qu’ils les ont ensuite rapportées en Espagne pour les expédier dans l’Inde et qu’ils sont devenus par là propriétaires du métal de retour qu’ils ont remporté dans leur pays. Barbon, Pellicer, Cevallos, Fernandez Navarrete, Moncada, tous écrivent dans le même ordre d’idées ; le dernier, qui est le plus important, attribue la pauvreté de l’Espagne à la découverte des Indes et propose de décréter la prohibition des marchandises étrangères, sous la surveillance de l’inquisition ou d’un tribunal analogue, avec le secret garanti aux dénonciateurs. Il interprète la définition si souvent répétée du commerce : « que c’est un échange du superflu contre le nécessaire », comme si le superflu, au lieu de signifier surabondance, signifiait luxe. Il transforme la définition en précepte et en déduit que c’est du mauvais commerce que le commerce qui donne des choses nécessaires pour des choses superflus. Cette altération subtile de la signification des mots est un des faits les plus curieux et les plus instructifs de cette histoire ; on la rencontre fréquemment. Vadillo a soumis à une critique sérieuse cette idée que l’Espagne avait des manufactures qui auraient été ruinées par la conquête des Indes ; il montre que les produits étrangers entraient librement sous les régimes antérieurs et qu’il n’y a pas eu, comme les Espagnols le croyaient, une ancienne industrie ruinée.

Colmeiro dit que le système prohibitif n’a pas prévalu en Espagne au xvn e siècle et que les taxes étaient souvent plus désavantageuses aux Espagnols qu’aux étrangers. Elles étaient l’objet de telles réductions que le poids n’en était pas lourd ; quelque chose comme 10 p. 100 ou moins sur les importations. Les Cortès demandaient constamment des mesures prohibitives. En 1678, les Cortès de Saragosse ouvrirent une discussion sur les nouvelles méthodes de protection appliquées depuis dix ans ; et de là, nous pouvons conclure, que cette renaissance spéciale de semblables projets était due à l’œuvre poursuivie par Colbert en France. Colmeiro cite deux écrivains, dont les œuvres ne sont malheureusement pas à notre disposition, Struzzi et Dormer, qui ont résisté aux tentatives protectionistes de l’assemblée de Saragosse. Le premier des deux parait avoir des droits au titre de premier libre-échangiste. Les écrivains les plus importants de la dernière partie du siècle dont nous avons pu consulter les ouvrages sont : Osorio, de la Mata, Salazar, Somoza et Lyra. Ce dernier critique le système colonial avec une grande sévérité et propose de former une compagnie comprenant tous les étrangers à des conditions précises, de manière à leur permettre de prendre part au commerce colonial ; mais il déclare que l’inquisition est un grand obstacle. Chez aucun de ces écrivains nous ne rencontrons rien qui ressemble à la doctrine de l’exploitation des colonies, telle qu’elle a été professée par des auteurs anglais plus récents.

Nous nous tournons avec le plus vif intérêt vers la Hollande pour apprendre quelle était la doctrine commerciale de ce grand État commercial. Laspeyres a entrepris des recherches à ce sujet : Quelle littérature économique la Hollande a-t-elle produit avant le xvni e siècle ? Au dire de Van Rees, la réponse est qu’il n’y en a pas, car le résultat de tout ce qu’on peut rassembler d’ouvrages sur la matière est à peu près négatif, A peine un auteur essaye-t-il de pénétrer la philosophie du commerce. Les marchands, mus par leur intérêt, étendaient leur commerce aussi loin qu’ils pouvaient, mais quand ils parlaient de la liberté du commerce, les Hollandais n’avaient, à aucun degré, en vue une doctrine générale de prospérité économique. « L’esprit d’exclusion