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droits établis par les législatures des autres, ce qui n’améliore pas beaucoup les choses, comparé à ce qui se passerait si chacun d’eux payait les droits établis par sa propre législation. Si les droits protecteurs américains sur les produits manufacturés français sont payés par les manufacturiers français et si les droits protecteurs français sur ’les produits agricoles américains sont payés par les agriculteurs américains, nous ne voyons pas qu’on soit plus avancé ; c’est toujours la même chose et nous avons besoin de nous placer à un point de vue plus élevé pour sortir d’embarras et juger le système. Enfin, s’il est vrai que les droits protecteurs établis dans un pays tombent sur les producteurs d’un pays étranger, il en résulte qu’un pays libre-échangiste, placé au milieu d’un groupe de pays protectionnistes, payera les droits établis par tous les autres et ne bénéficiera lui-même de rien. Tel aurait été le cas au regard de l’Angleterre dans ces quarante dernières années.

Si la vérité de cette doctrine sur l’incidence des droits protecteurs pouvait être admise, la prospérité de l’Angleterre aurait fourni la preuve que ces sortes de droits auraient été une bénédiction pour la nation qui n’en a pas perçu.

. Il est impossible d’aller au fond d’un système pareil à celui que nous venons de décrire, si on ne l’a pas aualysé pour se rendre compte des bénéfices qu’il est censé produire. Les philosophes, qui y ont foi, se désintéressent de la part évidente d’égoïsme du système, de sa parenté avec la guerre, et ne peuvent le considérer comme responsable des vulgaires abus de pouvoirs qui se produisent à son ombre et qui permettent à quelques personnes de s’enrichir des dépouilles des autres. Ils se bornent à soutenir qu’au fond il y a là une vraie philosophie de la richesse, et que les droits protecteurs sont un moyen de réaliser, au profit des populations du pays qui les établit, une plus grande masse de satisfactions matérielles que celles quelles eussent obtenues en l’absence de ces droits. C’est ce qu’on appelle le protectionnisme. C’est la doctrine qu’ont professée les hommes d’État protectionnistes des États-Unis et les économistes protectionnistes de second ordre (Niles, Peshine Smith, Greeley) et les écrivains protectionnis tes populaires du même pays dans le cours de ce siècle. C’est aussi, en général, la doctrine des protectionnistes de l’Europe. Ils se sont aperçus qu’ils devaient donner satisfaction aux habitudes de réflexion des hommes instruits de notre temps et que, s’ils se mettaient à discuter des questions économiques, ils devaient développer la philosophie de leur système afin de montrer comment et pourquoi ils en attendent certains résultats.

. Les penseurs les plus sérieux, les hommes les plus instruits de l’école que nous venons de définir, se sont trouvés engagés dans une tâche de la plus extraordinaire difficulté quand ils ont voulu prouver que le système protecteur pouvait augmenter la richesse matérielle de la communauté tout entière. Ils ont été obligés de recourir alors à une nouvelle catégorie de considérations. Ils se sont référés à un autre ordre d’avantages sociaux, qui, disent-ils, sont autrement importants que la richesse et qui produisent et accroissent la concentration et le développement du sentiment national. Ils regardent les droits protecteurs comme servant à définir et à accroître l’unité nationale par opposition aux autres pays, quoiqu’il puisse s’agir, à proprement parler, d’une unité historique et politique et non pas d’une unité nationale. Ils allèguent, enfin, que le système protecteur a en quelque sorte le pouvoir de modifier la distribution des produits entre les différentes classes industrielles, pour la rendre, suivant eux, plus avantageuse à la société et ils se plaisent à considérer ces avantages dans leurs rapports avec d’autres avantages d’un certain moral indéterminé. Et comme ces avantages sont, dans la sphère actuelle des connaissances humaines, ce qu’il y a de plus vague, de plus paradoxal, de plus indéterminable, il est impossible d’en apprécier la valeur. Ce sont choses qui doivent être exclues de la discussion économique tant qu’elles n’ont pas été réduites à une expression qui permette de les vérifier, ce qui n’est pas le cas des- purs dogmes ou des principes.

est dès lors évident qu’entre les assertions 

des paragraphes 2 et 3 nous nous trouvons, comme à l’improviste, dans un abîme de philosophie sociale d’une profondeur immense. Nous nous étions lancés dans une recherche qui devait nous enseigner comment nous pourrions régler, avec intelligence, notre effort productif et déterminer la proportion d’énergie que nous avions à dépenser pour nous procurer les satisfactions matérielles auxquelles nous attachons le plus de faveur, et voilà qu’on nous interrompt par des reproches d’un genre nouveau. On nous dit que cela est bas d’étudier le pur accroissement la richesse et que le propre et digne objet de l’étude est d’apprendre à réaliser un certain idéal social pour pouvoir acquérir des