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nise, Athènes, Rhodes, Gênes, etc., dit David Hume, voyez la Hollande ; l’exiguïté ou Tinsalubrité de leurs territoires ont forcé leurs habitants à se répandre au dehors. Ils ont été obligés de conquérir au loin leurs moyens d’existence. De là découle la source de leur puissance. « Dans les années de disette, les pauvres travaillent davantage et vivent mieux que dans les années d’abondance, où ils s’adonnent à la paresse et à la débauche i . » L’impôt crée donc un obstacle, et l’effort nécessaire pour franchir cet obstacle développe les forces de la nation. Tel est le paradoxe, il suffit, croyons-nous, de le qualifier de son véritable nom, sans s’attarder à le réfuter. Car, en dehors des comparaisons tirées de l’art de la gymnastique, on reconnaît immédiatement que l’industrie ne saurait être sérieusement stimulée par un procédé qui consiste, en somme, à lui enlever une partie -de ses moyens d’action. Du reste, David Hume s’empresse d’ajouter, quelques lignes plus bas, que « les taxes, lorsqu’elles sont poussées trop loin, détruisent l’industrie et font naître le désespoir ». {Discours politiques, vu, Des taxes.)

Impôt considéré comme un -phénomène indifférent. — Souvent, d’ailleurs, ledit paradoxe, sans aller jusqu’à qualifier l’impôt de stimulant, se borne, tout au moins, à le déclarer inoffensif. L’argent pris dans la poche de l’un, dit-on, va dans la poche de l’autre ; le fournisseur gagne exactement ce que le contribuable perd : l’équilibre persiste donc dans la société, rien n’y est modifié du fait de l’impôt. Il semble facile d’indiquer, en quelques mots, la réfutation que comporte cette seconde forme plus atténuée du même sophisme.

Le fournisseur qui reçoit en payement une part de l’impôt ne reçoit pas un don gratuit ; il ne fait que toucher le prix de ses services. Il a donné son temps, sa peine, les objets de son commerce et de son industrie ; en retour, le budget lui compte une somme d’argent ; les deux valeurs se balancent : c’est une vente, un échange, une opération complète, en un mot, définitivement soldée par elle-même. Que reste-t-il d’un autre côté ? L’impôt payé par le contribuable, lequel demeure alors une dépense sans contre-partie, si son produit n’est pas employé à quelque travail utile. Le travail utile effectué par l’État, tel est, en définitive, le seul équivalent de l’impôt ; à son défaut, l’impôt n’a plus ni justification, ni contre-valeur ; il se résout . « Les exacteurs de l’ancien gouvernement de France avaient coutume de dire : II faut que le paysan soit pauvre, pour qu’il ne soit pas paresseux ». (J.-B. Say 3 Cours d’écoonmie politique.)

en une perte sèche. La formule suivante résume cette vérité : « L’impôt ne possède d’autre utilité que celle de son emploi. » J.-B. Say écrivait très justement : « Quand le sacrifice du contribuable n’est pas compensé par l’avantage qu’il en retire, il y a iniquité. »

Impôt protecteur* — L’économie politique ne fait pas si aisément justice d’une autre théorie prônée par la coalition des intérêts particuliers et désignée sous le nom d’impôt protecteur. Cette théorie, qui triomphe aujourd’hui, prétend détourner les taxes de leur unique destination légitime, pour en faire un instrument de protection au profit de quelques-uns. C’est ainsi qu’on voit un réseau de douanes autour des frontières des différents États, à l’exception peut-être unique de l’Angleterre, s’opposer à l’introduction des marchandises étrangères. En dépit des efforts inverses de la civilisation pour abaisser les barrières entre les peuples, ce réseau de douanes retarde chaque jour le développement des relations.

Vainement les objets les plus essentiels demandent-ils à pénétrer : ils ne le peuvent qu’à la condition de payer une taxe de protection, dont l’effet immédiat est de surélever d’autant le prix des produits similaires a l’intérieur. De sorte que les tarifs de douane retombent sur le consommateur, non pas en proportion des produits étrangers qui pénètrent, mais dans la proportion infiniment plus étendue de la répercussion des tarifs à l’intérieur. 11 devient, dès lors, presque impossible de chiffrer la surcharge qu’ils imposent au pays, surcharge dont certains producteurs privilégiés profitent exclusivement, au détriment du public et du Trésor. Nous nous bornons ici à ces considérations générales, que des articles spéciaux développent avec plus de compétence dans ce Dictionnaire (V. Douanes, Céréales, Liberté des échanges).

Le protectionnisme, du reste, ne se cantonne plus aux frontières. Il envahit aussi le domaine de l’impôt intérieur et plusieurs impôts modernes, notamment ceux qui sont établis sur le sucre et l’alcool tendent, dans différents pays, par d’habiles combinaisons, à enrichir non plus le fisc, mais l’industriel qui fabrique ces produits. Nous renvoyons encore, pour plus de détails, aux mots Boissons, etc.

Impôt moralisateur. — Les impôts sur le luxe, ou plutôt contre le luxe, suivant la judicieuse distinction de M. Baudrillart, sont des impôts moralisateurs. Les impôts sur les objets antihygiéniques, dangereux, corrupteurs, sont des impôts moralisateurs.