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n’était pas viable, non seulement à cause de la constitution vicieuse de la Banque, mais à cause de la constitution de la Compagnie des Indes elle-même. En épuisant toutes les ressources de l’agiotage, on avait élevé sur une base fragile un édifice d’opinion et de crédit dont la durée ne pouvait être longue. Restait à savoir qui serait victime de l’illusion, qui apporterait des valeurs solides et réelles en échange des nouveaux papiers. On sait que le succès dépassa tout ce que l’on pouvait attendre. Les fortunes factices faites par la hausse des premiers titres avaient frappé les esprits ; tous ceux qui avaient quelques capitaux disponibles accoururent sur le marché. Ceux qui n’en avaient pas vendirent des terres, des maisons, des titres de rentes, etc., et l’agiotage éleva bientôt le prix des divers papiers créés par Law à la somme énorme de 12 milliards. Certes, si l’on adopte la manière de raisonner des publicistes, de notre temps, jamais on n’avait vu de pareils signes de prospérité. Aussi, pour parler la langue de nos jours, jamais on ne vit aller le commerce comme à cette époque ! Les mémoires du temps sont remplis de détails incroyables sur le luxe des bâtiments, de l’ameublement, du train des enrichis de ce temps-là et des gens de la cour qui, à cette prospérité éphémère, avaient la principal 3 part après les laquais. L’État ne montrait pas moins de munificence que les particuliers ; il faisait remise aux populations de 80 millions de contributions arriérées, supprimait des charges vexatoires, faisait étudier de nouveaux systèmes d’impôts et conduisait même à bonne lin une courte guerre à l’Espagne sans augmenter les charges qui pesaient sur les peuples. Tout le monde était dans l’ivresse.

Quelle était la cause réelle do toute cette richesse ? La consommation en quelques mois de la valeur presque entière de la monnaie métallique, aussi bien de celle qui se trouvait depuis longtemps sous forme de trésor ou de réserve que de celle qui servait aux échanges et à la circulation. On vit se produire les mêmes phénomènes que si un trésc r d’un ou deux milliards avait été découvert tout à coup et employé, productivement ou improductivement, en quelques mois. Ce n’était pas la Compag-.ie des Indes elle-même qui avait recueilli les fruits de ce mouvement ; ce n’étaient pas non plus les créanciers de l’État, car un petit nombre seulement d’entre eux avaient pu être liquidés à ternes pour convertir leurs titres en actions ; c’étaient les gens de cour, et à leur tête le Régent lui-même, qui bénéficiaient à la fois sur les émissions immodérées des billets de la Banque et sur l’agiotage des actions. Si l’agiotage ne fut pas le but unique du système, on ne peut nier qu’il n’y ait occupé une très large place, et on a peine à comprendre dans quel autre intérêt les arrêts du conseil retardaient le payement des termes près d’échoir sur les actions. Aurait-on procédé de cette manière, si l’on n’avait eu en vue que le succès intrinsèque de l’incomparable monopole commercial que l’on avait élevé ? Non, sans doute. Du reste, sans recourir aux conjectures, il suffit d’avoir jeté les yeux sur les mémoires de ce temps pour voir que Law avait importé en France ou mis en lumière tous les moyens qui peuvent donner un prix factice à des titres de valeur douteuse et incertaine. Depuis cette époque ; l’art de s’approprier le bien d’autrui par l’agiotage n’a fait aucun progrès ; il répète incessamment les mêmes procédés. Une catastrophe était inévitable ; mais Law ne la voyait pas. Il était persuadé qu’on pouvait soutenir le cours d’une monnaie tout idéale en l’échangeant contre des titres d’une valeur hypothétique ; et, lorsque la crise vint à se déclarer, il n’eut pas même recours aux moyens qui auraient pu atténuer les effets de la catastrophe. Il faut reconnaître, d’ailleurs, que le peu dé moralité du gouvernement de ce temps et les habitudes de prodigalité que Law avait lui-même encouragées ne lui auraient guère permis d’employer les moyens convenables, lors même qu’il l’aurait voulu.

Vers la fin de décembre 1719, des étrangers habiles et ceux des français qui savaient compter comprirent qu’il était temps de se retirer de la spéculation. Après avoir eux-mêmes encouragé un mouvement de hausse dans lequel l’action atteignit un moment 20 000 livres, ils vendirent les leurs et en échangèrent le prix contre des immeubles, des métaux, des marchandises, en un mot des richesses réelles. C’est ce qu’on appela réaliser. On comprend que la vente d’une multitude de titres eut bientôt avili les cours. En même temps, la présentation des billets ■ au change épuisait l’encaisse métallique de t la Banque, bien qu’un édit défendît d’employer les espèces d’argent dans des payements au-dessus de 40 livres, et celles d’or dans les payements au-dessus de 300 livres ; bien que le 28 janvier 1720, un autre édit donnât cours forcé aux billets dans toute la France et que l’on poursuivît avec rigueur l’arrêt qui avait ordonné la refonte des monnaies. En février, il fallut défendre aux particuliers, à peine de confiscation, de posséder plus de uOU livres en espèces et, ■ en mars, on démonétisa complètement l’or