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p. 100, semblait faire une opération désintéressée ; mais il était facile de comprendre que, dans un mouvement de 1500 milllions de capitaux pour le remboursement desquels on pouvait opter entre un titre de rente fixe et les actions d’une compagnie à laquelle on prédisait de toutes parts une brillante fortune, un grand nombre de capitalistes devaient opter pour les actions. La Compagnie créa 324 000 actions au capital nominal de 500 livres, payables par dixième, de mois en mois, mais qui, vendues au cours du jour, devaient lui procurer un bénéfice de 1 620millions avec lequel il lui était facile de subvenir à tous ses besoins.

Le système était complet. Law partageant une erreur qui trouve encore des défenseurs, confondait les prix avec les valeurs : il croyait qu’il suffisait d’élever les prix pour augmenter les capitaux de la nation ; il attribuait à la multiplication du papier-monnaie, du signe comme on disait alors, cette propriété de créer des valeurs qui n’appartient qu’au travail. C’était dans ce but qu’avaient été portés plusieurs édits pour dépopulariser lamonnaie métallique et que l’agiotage avait été surexcité. Un arrêt du 26 septembre ayant décidé que les actions de la Compagnie des Indes ne pourraient être payées qu’en billets, l’or et l’argentperdirent un moment 10 p. 100 au change contre le papier. Les actions distribuées à bureau ouvert se vendirent rapidement, et leur prix s’éleva constamment pendant quelques mois. Il n’est pas besoin de chercher bien loin les causes de cette hausse ; dans la prévision que le versement du second dixième gênerait les détenteurs et occasionnerait une baisse, un arrêt du conseil avait rendu trimestrielles les époques de payement, et prorogé au mois de décembre 1719 le versement qui devait être effectué à la fin d’octobre, le suivant au mois de mars, le troisième au mois de juin 1720. D’un autre côté, la Banque royale, qui, aux termes de l’arrêt du 4 décembre 1718, ne devait pas créer de billets au delà de la somme de 100 millions de livres, en avait créé pour 520 millions à la fin d’octobre 1719, pour 640 millions à la fin de novembre, et le 29 décembre on décidait que la somme des billets serait portée jusqu’à un milliard. Le sophisme sur lequel était fondé le Système se traduisait -en une illusion gigantesque.

Mais cette illusion créait des faits très réels. La monnaie métallique, dans ses deux emplois habituels, était remplacée parle papier. Les sommes amassées et entassées pour une consommation ultérieure prirent la forme d’actions ; les sommes qui servent aux échan-LAW

ges se transformèrent en billets de banque. Quelle était la nature des valeurs réelles représentées par l’action de la Compagnie des Indes et le billet de la Banque royale, et quels pouvaient être les capitaux disponibles sur lesquels on opérait ?

On ne connaît pas exactement les opérations de la Banque, mais il est probable que l’escompte du papier de commerce fut la moins importante. Peut-être fit- elle des avances sur dépôt d’actions ; probablement elle subvint tout simplement par billets aux besoins financiers du gouvernement, dételle sorte que son papier ne reposait sur aucune valeur réelle : c’était une simple dette d’État sans intérêt.

Le papier créé sous forme d’actions par la Compagnie desIndes s’élevait au capital nominal de 312 millions émis au prix de 1797 millions 1 . Mais quels avaient été, sur cette somme énormejes versements effectifs dans la caisse de la Compagnie ? Les documents officiels ne permettent pas de le savoir exactement, d’autant qu’ils sont assez peu dignes de confiance. Les ressources delà Compagnie en revenus peuvent mieux être évaluées. Elles se composaient : 1° de 49 millions de rente dus par l’État ; 2° des bénéfices de la Compagnie sur le monopole des tabacs, sur la ferme, sur les rentes et les gabelles d’Alsace et sur la fabrication des monnaies, que l’on évaluait en tout à 24 millions ; 3° enfin, du bénéfice des profits commerciaux de la Compagnie estimés à 8 millions. L’évaluation des bénéfices de la Compagnie était singulièrement exagérée ; car il est au moins douteux qu’une société commerciale constituée sans capital réel, ou, si l’on veut, avec un capital de 50 millions, pût réaliser des bénéfices prochains et considérables sur le commerce et la colonisation de la Louisiane et du Canada, et même sur celui de la côte d’Afrique ou de la Chine. Du reste, tous ses revenus consistaient en une rente due par l’État, en bénéfices sur la ferme des revenus de l’État et en profits très éventuels sur l’exploitation d’un privilège accordé par l’État. Enfin, en admettant même que les revenus de la Compagnie s’élevassent à la somme exagérée de 82 millions, ils ne pouvaient donner à un capital de 1797 millions qu’un intérêt assez médiocre, et peu propre à soutenir la valeur si exagérée de l’action, quel que fût l’avilissement de la monnaie par suite de la multiplication des billets, puisque, après tout, cet avilissement devait réduire aussi la valeur réelle des revenus.

Il est évident que le système de Law i. Law, son système et son époque, par À. Cochât.