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pour développer sa pensée, se contredire à chaque instant. Lauderdale accuse donc A.dam Smith de légèreté sans prendre garde qu’il tombe lui-même dans la méprise que l’illustre économiste avait cherché à prévenir par une distinction parfaitement claire. Il confond la valeur que donne l’ouvrier avec celle qu’il reçoit en échange, et n’aperçoit pas que, dans* tous les temps et dans tous les pays, le travail fourni par l’ouvrier a toujours quant à lui la même valeur.

Lauderdale cherche ensuite à développer le sens qu’il attache à cette expression « richesse publique « et essaye de réfuter cette idée, qu’elle n’est que la somme des richesses individuelles, que l’épargne favorise l’accroissement de la fortune publique et que tout moyen d’accroître la fortune d’un individu est favorable à l’opulence de la nation. Il considère la richesse privée, non seulement comme unepartie indépendante de la richesse publique, mais plutôt comme une chose nuisible àson développement.En effet, tandis que la première se fonde sur la rareté des objets, l’autre se base sur leur abondance. Là où toutes choses abonderaient également, il n’y aurait point de richesses privées, puisque des choses aussi communes ne pourraient avoir de valeur et cependant la richesse publique serait au plus haut degré. Résumant donc cette théorie, il en arrive à définir la richesse publique : tout ce que l’homme désire comme lui étant utile et agréable ; et la richesse privée : les mêmes objets quand ils se trouvent à un certain degré de rareté. Adam Smith avait posé en principe que le travail est la véritable source de la richesse, Lauderdale y ajoute la terre et les capitaux, tout en reconnaissant que le travail seul est susceptible d’accroître la fortune publique. L’épargne ne produit rien, elle ne peut contribuer au développement de la richesse et ce n’est qu’en confondant l’intérêt particulier avec l’intérêt général qu’on a pu établir la théorie de l’accumulation des capitaux. Le parlement anglais, venait sur la proposition de Pitt, d’augmenter (1799) le fonds d’amortissement de la dette publique et de créer un nouvel impôt pour couvrir les déboursés de la caisse. En vertu de la théorie précédente, Lauderdale combat violemment cette mesure, il estime qu’elle sera fatale à son pays et en rejette la responsabilité sur Adam Smith.

En résumé Lauderdale critique tout et ne prouve rien. Il s’est attaché surtout à montrer les prétendues contradictions qu’il a cru apercevoir dans l’œuvre du plus illustre des économistes, mais il n’a pu les expliquer. Lui-même s’est contredit souvent, quelquefois dans la même phrase. Après avoir déclaré que le commerce n’était pas un moyen d’accroître la richesse, il reconnaît que l’échange enrichit les nations qui s’y livrent et que les entraves qu’on apporte au commerce international s’opposent au développement de la fortune publique. D’ailleurs la doctrine d’Adam Smith était très appréciée par le gouvernement que dirigeait Pitt. Cela suffisait pour qu’elle déplût à Lauderdale et qu’il entreprît la publication de l’œuvre que nous venons d’analyser.

Maurice Harbulot.

LAVERGNE (Louis-Gabriel-Léonce Guilhaud de), né à Bergerac en 1809, est mort à Versailles en 1880. Littérateur de mérite et de goût, historien, administrateur et homme politique, Léonce de Lavergne restera pour la postérité un économiste savant qui s’est fait dans l’étude des problèmes relatifs à l’économie rurale une place à part et doit cette réputation autant à l’originalité de ses vues qu’à son remarquable talent d’écrivain. Au début de sa vie, on eût fort étonné le jeune lauréat des Jeux~F] oraux, si on lui eût dit qu’après avoir été poète, professeur de littérature à la faculté de Montpellier, publiciste et journaliste, il quitterait un jour son Midi ensoleillé pour vivre sous le ciel brumeux de Paris, et que là, après avoir fait de la politique dans le cabinet du ministre de l’intérieur, il s’occuperait de diplomatie comme sous-directeur aux affaires étrangères, deviendrait député, puis, se frayant encore une autre voie, étudierait les questions économiques qui intéressent l’industrie agricole, et verrait ces travaux, ces recherches nouvelles lui ouvrir les portes de l’Institut, en consacrant définitivement sa renommée et son talent. Telle est pourtant, résumée en quelques lignes, la vie de M. de Lavergne. Publicistea Toulouse, il eut le bonheur de connaître M. de Rémusat, et le mérite de s’en faire un ami. Nommé chef de cabinet de son protecteur, qui était devenu ministre de l’intérieur en 1840, puis appelé au ministère des affaires étrangères par M. Guizot, qui avait apprécié son talent, Léonce de Lavergne dut à ces heureuses circonstances de sortir de l’obscurité, et de pouvoir déployer ces qualités qui restent stériles si elles ne trouvent pas, sur un théâtre convenable, l’occasion de s’exercer. Sa nomination au poste de conseiller d’État, son élection à la Chambre des députés en 1846, et sa collaboration très active à la Revu* des Deux Mondes marquent la fin de la seconde période de sa vie. La révolution de 1848 brisa sa carrière administrative et politique, mais lui créa des