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comme si la terre estoit, ainsi qu’elle est véritablement, une cité commune à tous ». Au début de son œuvre, Fauteur du Cynêe s’adresse aux monarques tout-puissants et fait appel à leur intérêt même pour les exhorter d’avoir compassion du genre humain qui demande la paix et la fin des abus que la fureur des armes a produits jusqu’alors. Les coutumes, tant anciennes que modernes, ont toujours donné au soldat le privilège de noblesse et de commandement aux dépens des hommes d’autre condition. Il faut que cette erreur et ce préjugé cessent, et que désormais les princes imitent le brave roi lacédémonien « qui estimoit plus la jutice que la valeur ». Les rois sont « images de Dieu et tuteurs des peuples » ; ils doivent donc régler les déportements et brigandages des gens d’armes, ainsi que des fainéants nécessiteux des grandes villes, et, pour qu’ils n’aient aucune excuse, leur offrir du travail, des terres et des bœufs pour le labour. « L’agriculture et le trafic, dit E. de Lacroix, sont deux vacations nécessaires et honorables. En Tune et l’autre paroissent le travail, le courage, l’industrie et la prévoyance d’un homme. Le labourage nourrit un Estât, le -trafic Paggrandit. » Il préconise ensuite la mise des vaisseaux sur mer et leur envoi en pays étranger pour en tirer profit. A son avis, le marchand aventureux, afin d’enrichir sa famille et son pays, apporte plus d’avantages à la monarchie que la multitude de « nobles, prestres et officiers de justice ». Il ne faut donc plus que la condition du marchand soit « ravalée » et sujette à de trop nombreuses impositions. « Il est raisonnable, dit-il, que le prince tire quelques deniers sur les marchandises qu’on apporte et transporte en dedans et en dehors de sa seigneurie ; mais il doit en cela user de modération autant qu’il lui sera possible, et principalement pour le fait des marchandises nécessaires à la vie, comme bled, vin, sel, chairs, poissons, laines, toiles et cuirs, afin que les marchands y trafiquent plus librement et que le peuple les aye à meilleur prix ».

Alors, le peuple sera content, et le prince n’aura plus besoin de tant de soldats, étant assuré de l’amour de ses sujets. « Quant aux étrangers, ajoute E. de Lacroix, il s’en garantira par quelques compagnies d’ordonnance, surtout si l’on peut obtenir une paix universelle ». Selon lui, le plus beau fruit de cette paix est le développement du commerce, auquel on doit travailler « en prenant soin des grosses et petites rivières, en créant des canaux et des routes ». L’argent et la peine seraient en cela bien employés ; mais il serait plus utile pour le trafic général de LAFFEMAS

joindre deux mers, « en coupant un destroit de terre ou en conduisant une tranchée de fleuve qui tombe dans une mer sans être trop éloignée d’une autre. » Il cite alors les travaux des Pharaons entre le Nil et la mer Rouge, ceux des Grecs entre la mer Egée et la mer Ionienne, et enfin ceux que François I er projetait pour joindre l’Océan et la Méditerranée par les rivières de la Garonne et de l’Aude.

L’auteur du Cynêe exhorte les princes à s’emparer d’Alger pour y détruire la piraterie barbaresque, et à réaliser la paix universelle en soumettant désormais leurs différends à un congrès amphyctionique qui aurait son siège à Yenise. Les princes pourraient, dans la suite, s’adonner à la réforme des abus : protéger et régler le travail des apprentis et des ouvriers vis-à-vis des corporations et des maîtres ; limiter les grands revenus qui entretiennent l’ambition et le luxe ; donner le surplus aux invalides et aux pauvres véritables ! Comme on n’aurait plus à craindre que le mal « des procès et des impôts excessifs », on devrait s’occuper des voies de la justice et de la procédure, ainsi que du « mesnage des finances », en réglant la comptabilité du prince et de l’État, et en supprimant la vénalité des offices. E, de Lacroix termine ce remarquable ouvrage par un triple plaidoyer ; il recommande l’instruction obligatoire des enfants de moins de quatorze ans ; il proteste contre l’altération des monnaies, la diversité de leur valeur ; enfin, il préconise l’unité des poids et des mesures. Joseph Lacroix.

LAFFEMAS (Barthélémy de), sieur de Bonthor, contrôleur général du commerce, naquit à Beausemblant (Drôme) en 1545. 11 était d’une famille protestante noble, que des malheurs successifs avaient rejetée dans les classes laborieuses. Lanemas exerçait à la fois les professions àe tailleur d’habits et de tapissier dans les États du roi de Navarre lorsque, grâce sans doute à son origine et à de puissantes recommandations, il fut attaché en qualité de tailleur à la personne du prince Henri de Bearn (depuis Henri IV), qui en fit, bientôt après, son premier valet de chambre. En 1572, il vint avec le prince à Paris et ne le quitta plus. Henri, devenu roi, confirma Laffemas dans son poste et le nomma de plus préposé aux achats et ventes de son argenterie. Ce poste lui créa de nombreuses relations commerciales tant en France qu’à l’étranger ; il en profita pour faire, à son compte, le trafic des matières précieuses, et spécialement, des tissus et des draps d’or et d’argent (Cf. Jacques Cœor).