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que l’on peut se prononcer définitivement sur la valeur économique des irrigations. En France, notamment, on est assez porté à croire qu’elles ne constituent que très rarement des améliorations profitables. Nos plus anciens canaux de Provence vivent à peine financièrement, et beaucoup d’entreprises de cette nature ont eu des périodes très difficiles à traverser. Cette défaveur auprès des capitalistes est la cause la plus directe de la non exécution du grand canal dérivé du Rhône projeté depuis si longtemps pour l’irrigation du Bas-Languedoc. Il est à signaler ’ cependant que l’État ayant directement entrepris de 1880 à 1883 plusieurs canaux d’irrigation dans la région narbonnaise, où ils servent surtout à la submersion des vignes, ces travaux ont immédiatement rémunéré à 4,90 p. 100 les capitaux dépensés* Ceci nous amène à dire quelques mots du régime légal et de l’administration des canaux d’irrigation.

, Régime des irrigations.

L’Italie a des régimes très divers. Tandis qu’en Piémont l’eau appartient à l’État ou à des particuliers qui la louent à prix d’argent, en Lombardie Te au appartient généralement au sol, par suite d’anciens droits acquis, et l’État, qui entretient les canaux principaux, n’en retire presque aucune redevance. Pour régler l’emploi de l’eau entre les irrigants, on a généralement recours à des syndicats : ces associations adoptent pour base en certains cas la surface irriguée, et plus souvent la quantité d’eau reçue par heure d’usage, mesurée en modules [bocche moduîate) par un compteur spécial dont le principe a été défini, en 1571, par l’ingénieur Soldati. Le module milanais peut s’estimer à 34 lit. 5 par seconde. L’eau coûte en moyenne 75 francs par hectare et par an. A Murcie, en Espagne, ce prix paraît s’élever à 90 francs. La législation espagnole place d’ailleurs au second rang l’emploi de l’eau pour l’agriculture, après l’alimentation et avant les usages industriels et la navigation. Ce sont en définitive les principes romains plus ou moins modifiés qui régissent presque partout les irrigations ; on les retrouve même en vigueur jusque dans les ksour du Sahara algérien.

La législation française favorise aujourd’hui beaucoup la construction des canaux. De nombreuses lois, dont le détail serait oiseux, ont été votées successivement pour faciliter et régler l’usage de l’eau. L’eau courante est considérée comme res nullius, celle des cours d’eau navigables est comprise dans le domaine public. Les canaux d’irrigation

__ IRRIGATION 

appartiennent exceptionnellement à l’État, etr plus généralement à des sociétés. Ils sont administrés, dans le Midi, par des syndicats régionaux jouissant d’un régime spécial. On estime que l’eau nécessaire à l’arrosage annuel d’un hectare correspond à un débit continu de un litre par seconde ; mais cette quantité est donnée par émissions successives d’une durée de six heures, alternées à des intervalles réguliers, généralement toutes les semaines ; le débit est alors réglé à 28 litres par seconde et par hectare. Les usagers jouissent ainsi de l’eau en quantité suffisante et à tour de rôle.

Le prix de l’abonnement varie de 20 à 80 francs par hectare ; il est fixé, sur le canal des Alpines, dont le tarif remonte à trois siècles, à un taux équivalent au prix d’un hectolitre et demi de blé de première qualité, soit 30 à 35 francs. Le canal de Marseille a un tarif de 50 francs par hectare ; de même ceux de Pierrelatte et de la Bourne. On ne paye que 35 francs au canal de Saint-Martory, mais le canal du Verdon exige 70 francs. Dans le midi de la France les irrigations sont collectives ; il serait difficile qu’il en fût autrement avec les canaux ; mais dans Test, en Auvergne, dans le Limousin, elles sont individuelles ; elles ont aussi beaucoup moins d’importance.

Nous devons signaler, en terminant cette note, l’emploi de plus en plus fréquent aujourd’hui des eaux d’égout des villes, — qui constituent de véritables engrais — pour les irrigations. Paris, Berlin, Reims, Londres, Edimbourg ont donné l’exemple de cette utilisation fructueuse d’une richesse qu’on laissait autrefois perdre sans profit aucun. Les villes trouvent d’ailleurs là le moyen de se délivrer d’une cause toujours menaçante d’infection possible (V. Engrais). L’hygiène et l’intérêt de l’agriculture s’accordent fort utilement sur ce point.

François Bernard.

Bibliographie.

J.-A . Babhal, les Irrigations dans les Bouches-du-Rkône- ;

— les Irrigations dans Vaucluse. — Rapports de concours d’irrigation au ministre de l’agriculture. Paris, i 876-1877. — Du même, l’Agriculture et les irrigations de la Haute-Vienne. Paris, 1884. — Aibbrt Hérisson, les Irrigations de la vallée du Pô. Paris, 1883. Étude excellente et complète, où il manque une table des matières. — Irrigation in the United States. Report prepared by Richard J. Hihton. Washington, 1887. — J. Barois, Les irrigations en Egypte. Imp. nat. Paris, 1887. — C. Bertagnoui, VÉconomia dell’ agricultura in Italia. Rome, 1886. — Booffet, Notice sur les canaux de submersion du département de l’Aude. Carcassonne, 1889, brochure. — Emile Jamais député, Étudesur les canaux dérivés du Rhône, etc. Paris, 1883. — Voir en outre l’ouvrage important de A. Ronnà, Égouts et irrigations. Paris, 1874, et le traité technique de J. Cbarpenties de Cossigkt, Notions élémentaires sur les irrigations.. Paris, 1874. .