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39 AGRICULTURE ent. A la vérité, dans la période d’en- dansla simple utilisation directe de la nature

féremment. A la vérité, dans la période d’enfance, l’homme vivant de la cueillette et de la chasse exploite la nature, mais il ne la dirige pas. Mais, bientôt, il songe à l’avenir, et la nature lui enseigne et lui conseille la reproduction, caractéristique de l’agriculture. Une forêt aménagée peut fournir indéfiniment du combustible ; quelques semences réservées sur la récolte reproduisent identiquement chaque année de nouveaux aliments, et les fruits enlevés annuellement à un arbre, à une vigne, sont toujours remplacés l’année suivante par de nouveaux fruits.

Les véritables caractères qui permettent de séparer l’agriculture de toutes les autres industries extractives peuvent être ainsi établis 1° l’agriculture utilise les forces naturelles actuellement agissantes et toujours disponibles ; les autres industries extractives s’exercent aux dépens d’éléments accumulés et formés aux temps géologiques sous l’action de causes aujourd’hui effacées ou modifiées ; 2° l’agriculture exploite la puissance de reproduction de la matière organique, tandis que les industries extractives ne s’exercent plus que sur la matière inorganique. L’homme qui se livre à l’agriculture prend donc la nature pour collaborateur le plus actif dans son œuvre de production.

L’élément terre n’est pas le seul qu’exploite l’homme par l’industrie agricole ; les météores, chaleur, lumière, humidité, sont aussi utilisés par lui au profit du meilleur développement de la matière vivante (V. AGENTS NATURELS). Les lois de la physiologie s’exercent sous sa direction, car c’est par l’intervention active de l’homme qu’un champ porte une récolte de blé, plutôt que des plantes sauvages et inutilisables que le soleil mûrirait également si l’on n’avait eu le soin de les écarter. A un degré avancé de la culture, son intervention agit même sur l’intensité de la récolte. Ce sont en réalité les forces physiques bien dirigées qui agissent pour lui.

Mais il est important, au point de vue économique, de remarquer que parmi tous les éléments que fournit la nature dans la production agricole, la terre est le seul qui ait une valeur appréciée (V. CAPITAL), parce qu’elle est le seul qui puisse être approprié, le seul qui soit disponible en quantité limitée, les autres éléments restant à la disposition de tous, ce qui fait que leur usage est gratuit. Ce caractère spécial de la terre est la base de discussion de différentes écoles sociales qui préconisent les doctrines collectivistes et font remonter au travail seul la source de toute valeur.

L’agriculture cependant ne consiste pas

dans la simple utilisation directe de la nature.

Puisque l’homme dirige l’action des forces

physiques, il y apporte nécessairement son

activité, son travail, et celui-ci est d’autant

plus grand qu’il intervient plus efficacement

et que la production est plus intense. Le tra-

vail représente donc également un élément

non gratuit, une valeur.

Pour être efficace,l’intervention de l’homme

dans l’action des agents naturels comporte

obligatoirement l’action d’instruments agri-

coles, l’apport de semences et d’engrais. La

main-d’œuvre suppose donc l’existence et

l’emploi d’un capital, réserve qui, comme le

travail lui-même, doit être d’autant plus con-

sidérable que la culture est plus avancée.

Ces trois éléments, terre, travail, capital,

font de l’agriculture un type classique de

l’activité économique.

Elle n’est pas seulement une industrie

classique, elle est aussi et surtout l’industrie

primordiale par excellence.Le développement

de l’humanité sur la terre n’à pu se produire

que grâce à l’exploitation des fruits du sol

les progrès du bien-être matériel de l’homme

et ceux de l’agriculture n’ont pour ainsi dire

qu’une même histoire.

Ici, nous emprunterons à Fernand-Raoul

Duval l’exposé d’une théorie générale qui en

développe les phases diverses.

A l’origine, l’homme primitif pourvoit à

sa nourriture avec ce qu’il peut trouver de

comestible dans les fruits spontanés du sol,

avec la chair des animaux sauvages dont il

parvient à s’emparer. Lorsqu’il a épuisé les

aliments à sa portée, il est obligé de se dépla-

cer pour en trouver d’autres ailleurs. Il

laisse la nature abandonnée à elle-même.

Son esprit d’observation se développant, il

en arrive à établir la relation existant entre

la température, les saisons et la végétation ; il

confie lui-même à la terre les semences des

plantes dont il a reconnu l’utilité il en sur-

veille le développement, le favorise et arrive

à en récolter le produit ; il devient prévoyant,

il conserve les fruits de cette récolte et se

crée ainsi les ressources alimentaires dont il

a besoin dans les temps où la végétation sus-

pendue ne les fournit plus. Il arrive ensuite

à dompter les animaux ; au lieu de les dé-

truire brutalement, il les nourrit et les soigne

pour en tirer un meilleur parti ; leur lait ou

leurs œufs lui fournissent des aliments ; leurs

toisons, recueillies périodiquement, des vê-

tements de plus en plus parfaits. Enfin, leur

reproduction lui assure non seulement le

remplacement de ceux qu’il perd ou qu’il

abat pour sa nourriture, mais un approvi-

sionnement de plus en plus abondant et ré-

gulier. C’est à ce moment que l’homme,


AGRICULTURE