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se fait dans divers pays). Mais dans ce cas, on crée de riches monopoles au profit des débitants conservés, sans diminuer très sensiblement la consommation. Le même résultat a été obtenu, à une certaine époque, en soumettant l’ouverture des débits à une autorisation de police ; or, ce procédé présente un autre danger, celui de dégénérer aisément en arme électorale.

Le Trésor devrait encore, selon d’autres, élever le tarif des licences de vente au point de ruiner les petits débitants installés à quelques pas les uns des autres dans les villages et les faubourgs. Le résultat serait encore le même, car le fisc s’appliquerait ici à grossir les profits des débitants pourvus d’avances suffisantes, sans atténuer beaucoup le mal. Le seul bénéfice sérieux d’une telle mesure serait de faciliter un peu le contrôle de l’administration et, par suite de réduire la fraude. Il y aurait donc progrès, en somme, mais progrès bien insuffisant.

Aux États-Unis, certains gouvernements locaux sont allés droit au but en prohibant absolument la vente usuelle des spiritueux. L’expérience prouve que cette haute prudence administrative ne prévaut pas contre le vice quand il est général. Mille moyens s’offrent à la fraude pour tourner ou violer la loi et réussissent grâce à de multiples complicités. Voici enfin l’idée la plus radicale de toutes confier à l’État le monopole de vente (et même de fabrication) des spiritueux, et opérer cette vente à des prix tels que la majorité des consommateurs ne puisse en abuser. L’idée de faire de l’État un débitant d’eaude-vie n’est pas, au fond, plus extraordinaire que celle de le créer négociant en tabacs ; nous n’en croyons pas moins que le remède serait pire que le mal. L’administration est en effet un rouage social dont le rôle ne saurait dépasser sans danger certaines limites étroites. Chaque attribution nouvelle augmentant à la fois son personnel, sa puissance inquisitive et sa responsabilité, tend à en faire non plus l’instrument nécessaire de l’action do l’État, mais un organisme encombrant et lourd qui pèse sur tous ou presque tous les actes de la vie nationale jusqu’à l’étouffement.

En fait, il est donc impossible de compter exclusivement sur le fisc pour conjurer ce péril social. Il ne peut être efficacement combattu que par une action préventive disséminée partout comme le vice lui-même, et appuyée principalement sur l’influence du groupe familial bien constitué. On est frappé, en effet, à la réflexion, de ce fait que l’ivrognerie se développe de préférence au milieu BOISSONS 208 BOISSONS

dans divers pays). Mais dans ce cas, des familles les plus instables, le de riches monopoles au profit des centrées et des familles les plus instables, les moins concentrées et, par suite, les moins disciplinées. On la rencontrera notamment chez les sauvages chasseurs de l’Afrique centrale, dans les campagnes polonaises et au milieu des agglomérations industrielles urbaines. Elle est bien rare dans la famille patriarcale des pasteurs mongols, chez le paysan du Lunebourg hanovrien, ou parmi les montagnards du Jura. C’est que dans les trois premiers groupes la famille est moins solidement établie dans les trois derniers, elle garde toute sa cohésion, toute sa force éducatrice, et met dans une large mesure les individus au-dessus des passions les plus mauvaises. Le maintien ou la reconstitution de la famille, voilà donc le vrai remède. Les autres procédés ne sont et ne peuvent être que des succédanés impuissants par eux-mêmes à conjurer le mal et qui parviendront tout au plus à en ralentir un peu les progrès. Voici peut-être le meilleur de tous. En Norvège, le débit des alcools est monopolisé au profit de la commune, qui le concède à des sociétés créées spécialement dans ce but. Celles-ci font obstacle à l’abus par l’élévation des prix et le règlement des consommations ; leurs bénéfices (ils sont énormes) sont appliqués à des œuvres d’utilité générale.

Pour conclure, nous dirons que l’Etat ne peut agir directement sur la consommation qu’au prix de grandes difficultés, et sans compter sur un résultat complet. Il doit cependant, bien entendu, coopérer à cette

œuvre de préservation sociale, en employant avec mesure les barrières fiscales et les moyens dont il dispose pour exercer un contrôle exact sur la qualité des alcools mis en vente, afin d’empêcher le débit des produits les plus nuisibles. Mais il doit surtout agir indirectement en favorisant par tous les moyens en son pouvoir la reconstitution ou le développement des institutions sociales élémentaires la famille et la commune.

b. Au point de vue économique, la question du régime des boissons est importante à plus d’un titre. Elle touche, surtout chez nous, à la fois à des intérêts agricoles, à des intérêts industriels et à des intérêts commerciaux de premier ordre. La culture de la vigne a couvert, en moyenne, en France, durant la décade 1878-1887, près de 2,200,000 hectares, produisant environ 32 millions d’hectol. de vins de toutes catégories. La prompte reconstitution des vignobles français éclaircis par le phylloxéra et le développement rapide des vignobles algériens tendent à accroître vite et beaucoup ces chiffres. Il y faut ajouter les deux millions d’hectolitres de grains, betteraves, etc.,