Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 1.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voyez le libre-échange : partout on y rencontre l’action. Nos savants se transforment en polémistes et en conférenciers ; ils luttent pour l’industrie nationale, qui s’ignore elle-même ; ils luttent pour le consommateur, qui se laisse dépouiller ; et des livres scientifiques au premier chef, comme l’Examen du système protecteur, de Michel Chevalier, sont le fruit de vingt années de combats.

Remontons plus haut : prenons nos physiocrates et prenons Turgot : presque toutes leurs doctrines sont sorties de l’action. Elles sont nées de leurs révoltes contre la sottise et l’injustice. C’est à voir la famine sévir chaque année, l’industrie étouffer et dépérir, le peuple enfin s’étioler et s’appauvrir grâce à des réglementations prétendues tutélaires que soutenaient des hommes avides, que Quesnay et surtout Turgot se sont élevés enfin à la notion de la liberté du travail. En cela, d’ailleurs, véritablement scientifiques, puisque la plupart de leurs doctrines, ils les avaient dégagées de l’observation.

Voilà, si l’on peut ainsi s’exprimer, comment ont travaillé nos grands économistes, et cette méthode de travail est conforme à notre tempérament.

Or, aujourd’hui, l’on vit dans un état d’anarchie et de confusion. Des négations passionnées et imprudentes ont ruiné dans l’opinion des jeunes hommes qui arrivent à la science tout un corps de doctrines qui tenait encore, et n’aurait eu besoin que d’être repris et consolidé en sous-œuvre. L’école économique, ainsi qu’une fourmilière éventrée d’un coup de pied, va, vient, s’agite, se démène. Les économistes n’ont plus ni chefs ni direction. Ce qui avait été jusqu’ici tenu pour vérité est dénoncé comme entaché d’erreur ce qui passait pour axiome a besoin d’être démontré, et l’on voit — ceci n’est pas un propos en l’air, — des in-folio consacrés à établir de simples truismes. L’esprit des Français, esprit clair, mais simpliste, et d’ailleurs, je l’avoue, quelque peu déprimé par la forme séculaire de notre enseignement public, se perd au milieu de ces confusions et de ces subtilités. De là, l’inaction excusable d’une partie de notre jeune école.

Cette inaction, j’imagine toutefois qu’elle est à la veille d’en sortir. L’impuissance de ses adversaires est bien faite pour l’y décider. L’édifice élevé par l’économie politique libérale a pu souffrir de tant d’attaques ; il n’a certes point été compromis. Et la tâche de demain sera précisément celle qu’il eût fallu entreprendre il y a vingt ans : une œuvre non plus de négation, mais de revision non plus de destruction, mais de restauration. Cette œuvre qui, vraisemblablement, tournera à la gloire de nos maîtres, l’école française, avec l’aide des collaborateurs qu’elle a gardés dans le monde, se doit à elle-même de la mener à bien.

Joseph CHAILLEY-BERT.