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sont obligés de délaisser A notre l’industrie privée et qu’il lui donne la vraie ticuliers sont obligés de délaisser. A notre époque, c’est aux associations et aux collectivités, et aux plus grandes de toutes, les Églises et les États, qu’il revient de favoriser les créations de l’art dans ce qu’il a de plus haut et de plus pur. L’Église paraît avoir perdu depuis longtemps le sens artistique ; il est bon que les encouragements de l’État aillent là où ils peuvent être efficaces ou indispensables. L’action de l’État est douteuse, lorsqu’elle se répand en subventions théâtrales et en acquisition des œuvres d’artistes vivants, autres que celles qui viennent d’être désignées. Les théâtres ne sont point ouverts gratuitement comme les Musées ; les subventions puisées dans le produit de l’impôt y sont dépensées au profit de quelques-uns. En Angleterre et aux États-Unis, les théâtres lyriques n’ont pas moins d’éclat qu’en France ; ce sont les spectateurs, et non point le Trésor, qui en font tous les frais.

De même, les achats des œuvres d’artistes vivants opérés par l’État sont faites pour exciter une certaine défiance. En France, d’une manière générale, l’État a presque toujours négligé d’acquérir à temps les œuvres des grands artistes du siècle et, sous la pression des sollicitations, il a su multiplier les encouragements à tous ces artistes médiocres

dont on répartit ensuite les toiles entre les musées de province. Encore une fois, pour tout ce qui peut être acquis par les particuliers, il vaut mieux laisser faire l’opinion publique qui a généralement plus d’esprit que l’État.

Une seule ingérence de l’État en matière artistique doit être formellement repoussée ; c’est celle de l’État producteur d’art industriel. L’État se faisant industriel représente le plus haut degré de la protection, car il cherche à faire à grands frais, à l’aide des deniers publics, des produits pour lesquels la concurrence est supprimée. Lorsqu’il n’existait aucune liberté de commerce et que les nations se disputaient le monopole et les secrets de certaines industries supérieures, ou comprend que les princes aient souvent voulu, à l’aide de privilèges ou bien en les exploitant personnellement, implanter des industries de haut luxe. Telle est l’origine des industries d’État, qui devaient disparaître avec la grande industrie et la liberté. C’est seulement en France que subsistent de pareilles entreprises ; nous avons encore les Gobelins, Beauvais et Sèvres.

A notre époque, l’État, industriel d’art, n’a que certaines excuses à faire valoir : c’est qu’il conserve des arts que nul autre que lui ne peut conserver, c’est qu’il fait mieux que l’industrie privée et qu’il lui donne la vraie direction et les beaux exemples. Mais il faillirait dans cette démonstration.

Les Gobelins et Sèvres étaient à leur origine comme des annexes de la maison royale, dont ils rehaussaient la splendeur ; ils ont perdu cette raison d’être. Leurs premiers produits étaient parfaits, grâce à la réunion des meilleurs artistes du temps qui les exécutaient mais la routine et la sécheresse administratives ont bien vite pris le dessus ; il est impossible d’accorder dans notre siècle aucune supériorité aux prétendus chefs-d’œuvre de Sèvres et des Gobelins, qui n’ont pour eux que des qualités de matière ou d’exécution minutieuse qui ne sont point à imiter. Nos manufactures nationales sont devenues, à vrai dire, des superstitions nationales ; elles n’ont eu qu’une influence mauvaise sur la fabrication courante et sur le goût de la nation, en proposant à notre admiration des œuvres sans âme ne témoignant que de pré ciosité, d’adresse et de patience, et étant en outre généralement conçues contre toutes les lois du décor. Depuis cent ans, l’art des Gobelins consiste à exécuter à grands frais et en « trompe-l’œil » des copies de tableaux médiocres. L’original vaudrait 3 ou 4,000 francs ; reproduit en tapisserie, il revient à l’État à 30, 40,000 francs et plus. Les Gobelins copient des peintures ; qui ne sait que la peinture et la tapisserie ont des emplois, c’est-à-dire des lois tout à fait différentes ? Sèvres a suivi la même voie ; son exécution est mièvre, ses produits impropres à l’usage. Sa mission a consisté à diriger longtemps le goût public sur des paysages peints en perspective au fond des assiettes, ou sur des tableaux transportés sur la panse d’un vase et ainsi déformés. Si l’on y a fait quelques progrès, c’est par l’impulsion venue du dehors. Encore une fois, aucune. personne compétente en France ne voudrait affirmer que les Gobelins et Sèvres importent à l’intérêt de l’art national aucune de ces personnes qui ne sache que les grands artistes industriels du pays se trouvent dans l’industrie libre. Loin d’être des écoles d’art industriel, ou bien une sorte de conservatoire pour certaines industries, c’est surtout parce que les manufactures nationales donnent des exemples funestes de

production inutile, de grand prix et de mauvais style, qu’on doit souhaiter leur suppression progressive. L’expérience est d’autant plus complète que, pendant ces dernières années, leur direction en a été confiée à des hommes éminents qui n’ont pu triompher des vices qu’entraîne l’industrie d’État. L’exposition de 1889 montre qu’ils n’ont rien pu changer dans la production de nos manufac-