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il fallait dégager une méthode scientifique. Cette méthode, reprenant une voie déjà suivie et déjà abandonnée, ils crurent que ce pourraient être l’étude attentive des faits dans le passé, par l’histoire, et l’observation minutieuse et l’enregistrement des faits dans le présent, par la statistique, laquelle n’est qu’une branche de l’histoire : de là, cette dernière dénomination d’une même école école historique.

Rassembler des faits, en montrer la valeur absolue et la valeur relative opérer patiemment sur une infinie variété de milieux, d’époques et de circonstances ; amasser, par un travail consciencieux, des matériaux solides, base inébranlable de la théorie que, quelque homme de génie viendra dégager plus tard, tel est le labeur prodigieux auquel a déclaré se vouer cette école de néo-bénédictins.

En attendant, ceux de cette école qui ne sont pas ouvertement socialistes forment une petite phalange qui vit sans doctrines ; elle est, au sens littéral du mot, impartiale : elle n’a pas pris de parti ; et son travail capital a consisté à se donner une méthode.

Or, cette méthode, — il faut le redouter beaucoup plus que le souhaiter, car le seul intérêt de la science nous conduit et qui nous apporterait un bon instrument de travail aurait droit à notre gratitude, — cette méthode est probablement impraticable et assurément entachée d’erreurs. Elle repose dans le passé sur l’histoire, dans le présent sur la statistique : deux bases peu sûres.

Considérez combien de problèmes redoutables suppose résolus la prétention d’édifier une théorie économique sur l’étude des faits passés. Il faut d’abord réunir sur des questions qui ont ordinairement si peu préoccupé les contemporains, des documents authentiques et assez nombreux pour qu’on puisse les rapprocher et les éclairer les uns par les autres ; il faut déterminer exactement le caractère de la société et du milieu auxquels ces documents se rapportent ; il faut enfin les interpréter, c’est-à-dire en calculer, pour cette société et pour ce milieu, la signification précise. Que de chances d’erreurs ! Et quand ce prodigieux tour de force aura été accompli, on n’aura pas encore fait la centième, la millième partie du chemin. Car tant de travail ne nous a fourni de renseignements — précis, nous voulons le croire — que pour une seule époque et pour un seul milieu et comme nous sommes ici dans le domaine de l’induction, comme nulle société ne suit fidèlement les traces de celles qui l’ont devancée, comme nulle génération n’est exactement semblable à celle qui précède, il faut, sous peine d’erreurs irréparables, sillonner la route d’innombrables jalons. Qu’une seule époque nous demeure obscure, qu’un seul milieu nous reste fermé, la chaîne se rompt, et notre théorie économique, rappelant le cas fâcheux de la théorie cosmogonique de la création naturelle qui, pour relier, d’une façon plausible, les espèces et les familles, s’est vue obligé d’inventer des types de toutes pièces, va tomber dans la pure fantaisie.

Ce n’est pas tout : supposez, dans cette recherche des documents du passé, un bonheur insolent et, dans cette interprétation, une habileté prestigieuse, notre œuvre est encore bien fragile. Comme toutes les sciences, l’histoire se rajeunit par périodes et, se renouvelle sans cesse. Chaque jour lui apporte un lot de documents imprévus qui modifient l’aspect des choses, bouleversent la position