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dence lui impose. S’il ne choisit pas ses risques, s’il néglige de les limiter ou de les diviser, en un mot, s’il n’élimine pas suffisamment l’élément de hasard de cet amas de risques accumulés dont il assume la charge, il court à la ruine, mais en même temps il arrive à rendre sa garantie illusoire. L’excès de la concurrence est donc destructif de l’assurance et, si ses entraînements ont ruiné bien des assureurs, ils ont aussi mis à découvert de nombreux assurés qui devaient se croire efficacement garantis.

Signalons ici l’heureuse influence des sociétés mutuelles. Nous avons vu comment leur organisation les soustrait, au moins en théorie, presque complètement aux dangers que nous venons de signaler. Mais ces sociétés n’en sont pas moins un précieux agent de concurrence vis-à-vis des compagnies d’assurance à forfait. La cotisation réduite par l’absence de tout bénéfice et par l’économie des frais de gestion ne saurait descendre au-dessous de la valeur du risque. D’autre part, elle ne saurait le dépasser notablement sans être ramenée à la juste limite autour de laquelle elle doit osciller.

b. L’assurance, acte de prévoyance. — Bien que conformes à la théorie scientifique de l’assurance et aux données générales de la science économique, les considérations qui font ressortir un acte d’échange dans toute opération d’assurance à forfait ne montrent qu’un point de vue très spécial, un des côtés les plus restreints de l’assurance. On y découvre bien un intérêt réel en ce qu’elles jettent un jour vrai sur l’histoire des compagnies d’assurance, les causes de leur prospérité et de leur décadence, mais, hors de là, il faudrait se garder d’y voir une théorie économique de l’assurance. Ce serait méconnaître son caractère d’institution de prévoyance, caractère qui ressort avec force de l’analyse de l’opération considérée au point de vue de l’assuré. Essayons de l’envisager à ce second point de vue on comprendra mieux nos explications après les renseignements techniques qui précèdent.

Diverses causes de ruine menacent les capitaux, les entreprises, la vie. Un homme prudent se prépare la possibilité de réparer ses pertes futures en prélevant annuellement sur ses revenus les éléments de cette réparation. Ainsi, l’assurance émané de la prévoyance et débute par l’épargne. Ce n’est pas, il est vrai, l’épargne ordinaire aboutissant à une accumulation et laissant un capital susceptible d’être affecté à tel usage que les circonstances indiqueront ; l’épargne doit ici recevoir une destination spéciale la reconstitution de tel ou tel capital déterminé et menacé par des causes diverses de dépérissement ou de destruction. L’homme prévoyant poursuit un but précis, il assure son capital contre le risque prévu, il aliène son épargne en échange de la promesse d’une reconstitution éventuelle. Pourquoi cette façon spéciale d’épargner qui diminue sa liberté, qui peut-être exigera de lui de nombreuses annuités avant que le malheur ne vienne l’atteindre ou même sans que l’événement redouté se produise jamais? C’est, d’abord, qu’il n’eût peut-être pas eu le temps d’épargner avant d’être frappé ; c’est, en outre, que s’il en eût gardé la disponibilité, ses économies accumulées eussent été pendant longtemps, sinon toujours impuissantes à réparer le désastre. Ainsi, l’épargne, sous sa forme ordinaire, l’eût laissé presque entièrement à la merci de l’évènement redouté, alors qu’au contraire, sous forme de prime ou de cotisation, elle le garantit contre les conséquences de cet évènement. Et voici le procédé à l’aide duquel ce résultat est atteint. L’assuré n’est plus isolé dans sa lutte contre le hasard, l’association lui vient en aide ; elle met à son service une force — la solidarité — et c’est cette force, qu’il utilisera au jour fixé par le sort, dont il achète le concours moyennant l’aliénation de son épargne. Il se trouve dès lors en possession d’un résultat précis et immédiat la compensation certaine de sa perte et, comme conséquence, la sécurité sur le sort du capital protégé par l’assurance. Tels sont, au point de vue de l’assuré, les traits essentiels de l’opération d’assurance. Elle a pour mobile la crainte des coups du sort ; pour but, la réparation anticipée de leurs conséquences pour fondement, l’épargne ; pour procédé, la solidarité ; pour résultat, l’élimination du hasard dans la conservation des capitaux.

17. Caractères de l’institution. Son rôle dans les faits économiques.

a. L’assurance et l’épargne. — Le mécanisme imaginé par la prévoyance n’est, en fait, qu’une organisation perfectionnée de l’épargne et son adaptation au but spécial en vue duquel elle est constituée. Cette organisation ressemble par certains traits à toutes les autres institutions d’épargne ; elle s’en différencie par certains autres qui lui sont particuliers et qui lui assignent une place spéciale au milieu des autres formes de la prévoyance.

L’assurance, ayant à constituer les capitaux nécessaires à la réalisation de son but, en puise les éléments dans les épargnes individuelles. D’une part, elle emploie les procédés d’accumulation les plus propres à rendre