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104 ASSURANCE

tait déjà et, sans doute, depuis aussi longtemps qu’il se faisait dans l’ancien monde des opérations de production, de change et de crédit. L’institution, en effet, dans sa forme actuelle, n’estque l’organisation scientifique d’un’ procédé universellement pratiqué dans les affaires de toutes sortes ; ce procédé, c’est la compensation des risques. Cette méthode a dû se retrouver partout où s’est rencontrée une suite d’opérations présentant des chances d’inégalité pouvant se compenser mutuellement. Le navigateur phénicien compensait les chances de ses divers voyages comme le banquier grec neutralisait, par ses commissions, les risques d’insolvabilité de ses débiteurs. L’assurance a donc été une combinaison latente avant d’être une organisation spéciale. En devenant plus tard l’objet d’un commerce ou d’entreprises particulières, elle a suivi le mouvement de progrès des transactions humaines. Ce premier perfectionnement lui est venu de la division du travail ; les progrès de la science lui en ont apporté un second qui se poursuit encore à notre époque. Cependant on la retrouve encore journellement sous sa forme primitive. Partout où il y a un risque à courir, une assurance latente protège la valeur ou même le gain menacé par ce risque. On la retrouve dans la commission prélevée par le banquier, dans les prix surélevés du marchand qui livre à crédit, dans les taux parfoisusuraires de certains prêts. Le prix de location d’une ferme, celui d’un marché de fourniture ou de travail, contiennent une prime d’assurance contre les intempéries, les accidents, la hausse possible des prix du travail, du transport ou de la matière première. Les droits supplémentaires perçus par l’administration des postes au delà des frais directs du transport des valeurs sont une prime d’assurance contre les risques de ce transport. Enfin, les compagnies d’assurance, en constituant une réserve au moyen de prélèvements sur leurs bénéfices, n’assurent-elles pas leurs dividendes contre les risques d’une année désastreuse  ?

Ces rapides indications suffisent à montrer quelle est, au point de vue économique, l’origine de l’assurance. Nous rechercherons maintenant quels en sont, au même point de vue, le caractère et la portée.

Considérée isolément, l’opération d’assurance présente des caractères différents, suivant qu’on se place au point de vue de l’assureur ou de l’assuré.

La jurisprudence voit dans l’acte de l’assuré un contrat civil, tandis qu’elle qualifie

jà et, sans doute, depuis aussi long- d’acte de commerce l’opération de l’assureur. qu’il se faisait dans l’ancien monde Cette distinction n’est pas une simple con-

16. Analyse économique de l’opération

d’assurance.

d’acte de commerce l’opération de l’assureur. Cette distinction n’est pas une simple conception juridique, elle est fondée sur la nature des choses et se trouve confirmée par l’analyse économique.

a. L’assurance, acte de commerce. La transaction qui intervient entre l’assureur à forfait et son client présente tous les caractères économiques de la vente, ce mot étant pris dans sa plus large acception. Tous deux se livrent à l’évaluation comparée et à l’échange de deux utilités la garantie offerte par l’assureur et la prime payée par l’assuré. L’assureur forfait est un vendeur de garantie, l’assuré en est l’acheteur. Comme tout produit, la garantie a une valeur normale, c’est le prix de revient dont nous connaissons les éléments par l’analyse faite au § 8, et une valeur courante, le prix réel auquel la garantie est vendue. La valeur normale exerce une action régulatrice sur la fixation du prix réel, mais elle n’en est pas le seul élément. La valeur courante de la garantie est encore sous la dépendance de la loi de l’offre et de la demande. Il en est de ce produit comme de toute autre marchandise, il s’établit sur le marché un cours des primes d’assurance. Ce cours se relève ou s’avilit sous l’action de la concurrence, qui doit produire ses effets ici comme en tout commerce libre. Des considérations développées plus haut surleprix de l’assurance, il résulte qu’il est un point précis au delà duquel cette force cesse d’être bienfaisante pour devenir fâcheuse. Bienfaisante, si elle contribue à la réduction des bénéfices de l’assureur et de ses frais de gestion, elle est nuisible, dès qu’elle elle a pour effet de réduire le prix de la garantie au-dessous de sa valeur normale, et les résultats sont alors à bref délai désastreux.

Et combien plus qu’en tout autre genre de commerce il est facile et dangereux, en celuici, de franchir cette limite Lefabricant peut connaître à peu près exactement le prix de revient de son produit, et la baisse du prix courant au-dessous du coût de production ne lèse que ses propres intérêts sans nuire à ceux de l’acheteur. Au contraire,l’avilissement du cours des primes d’assurance au-dessous de leur valeur normale tend à ruiner à la fois et l’assureur et l’assuré. D’un autre côté, au moment de l’échange, l’assureur ne connaît qu’avec une imparfaite approximation le prix de revient de la garantie qu’il vend ; la rivalité qui s’établit entre assureurs concurrents peut l’entraîner à faire ce qu’on a appelé l’assurance de spéculation, c’est-à-dire à ne pas tenir un compte suffisant des données de la science, ou à se départir des règles que la pru-