Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 1.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tives. M. de Courcy, le savant spécialiste qui a peut-être le plus approfondi les, questions d’assurance, en a fait ; en excellents termes, un ingénieux rapprochement : « L’assurance mutuelle, dit-il, est quelque chose comme la société coopérative. Elle se propose pareillement de se passer du capital afin d’en économiser la rémunération. Le salaire du travail des ouvriers coopérants cesse aussi d’être fixe et devient variable. Il est dans la dépendance des résultats.

« L’usage est assez répandu, dans les assurances mutuelles, de déterminer un maximum de cotisation pour ne pas effrayer les associés. Naturellement, toute limitation de la cotisation limite la garantie des risques. Si la somme des dommages provenant des événements malheureux que, dans tous les genres d’assurance on appelle des sinistres, dépasse le maximum des cotisations, l’indemnité est nécessairement incomplète. Il arrive alors que les assurés regrettent à la fois de n’avoir pas payé le prix du risque par une prime fixe et de n’avoir pas la garantie d’un capital. C’est ainsi que lorsque les sociétés coopératives n’ont pas d’heureux succès, les ouvriers regrettent de n’avoir pas préféré la fixité du salaire. La mutualité a été, pour les asurances, tantôt la forme rudimentaire, le premier tàtonnement de l’institution encore inexpérimentée, tantôt, au contraire, un raffinement vanté comme un progrès, une concurrence faite aux assureurs de profession, à l’aide de leur expérience. On peut en dire autant de la coopération. De nos jours, les ouvriers et ceux qui parlent en leur nom la recherchent, la vantent comme un progrès et une nouveauté. La plupart ignorent qu’elle a existé de tout temps et que c’est le salaire ûxe qui est relativement moderne ».

14. Différences entre l’assurance à forfait et l’assurance mutuelle.

La différence essentielle entre l’assurance à forfait et l’assurance mutuelle ressort de ce que nous avons dit du caractère propre à chacun de ces deux modes de gestion.

L’assurance par mutualité a paru, en France surtout, comparée à l’assurance par les grandes compagnies à prime, longtemps entachée de causes réelles d’infériorité. Pour en trouver les motifs, il faut d’abord se reporter aux causes générales qui font obstacle aux sociétés coopératives de toute espèce, c’est-à-dire l’insuffisance fréquente de prudence ou d’habileté dans la direction, le ressort et l’activité toujours moindre dans celui qui travaille pour les autres que dans celui qui travaille exclusivement dans son intérêt, etc. [V. Coopératives (Sociétés)].

Mais il y a des raisons plus profondes émanant de la différence essentielle entre les deux modes de gestion. Le client d’une compagnie à primes tient avant tout à n’être solidaire d’aucun des risques assurés par son assureur ; il apprécie en outre l’avantage de connaître à l’avance le prix de la garantie qu’ilachète et, ce prix une fois payé, de jouir paisiblement d’une sécurité sans mélange. Au contraire, dans le mode de la mutualité, la solidarité établie entreles assurés etla variabilité de la cotisation qui en résulte présentent un côté fàcheux. Il y a, en effet, une certaine contradiction entre l’incertitude où reste l’assuré sur la quotité éventuelle de sa part contributive et le but même de l’assurance, qui est la substitution d’une certitude à un aléa, — ou encore entre la sécurité que poursuit l’assuré et la charge qu’il assume des risques d’autrui.

Cette antinomie serait une cause permanente d’infériorité pour ce genre de sociétés, si l’on n’avait pu la faire disparaître entièrement. On y est heureusement parvenu, en donnant à la cotisation le caractère de la fixité avec tous les avantages qui en résultent. Les progrès constants de la statistique permettent une évaluation de plus en plus certaine de la valeur des risques et, par suite, l’établissement de cotisations fixes. Le chiffre en est déterminé de façon à comprendre la valeur exacte des risques, et il est assez largement calculé pour suffire à tous les besoins, du moins dans des circonstances normales. Il comprend en outre un élément supplémentaire destiné à constituer un fonds de réserve qui s’accroît en même temps que le chiffre des capitaux assurés et constitue dès lors une nouvelle et réelle garantie contre les chances d’un exercice exceptionnellement malheureux.

L’inconvénient de la fixité, c’est-à-dire le risque d’une prime trop élevée, est d’ailleurs corrigé par une répartition périodique, entre les associés, des excédents restés libres après réalisation des évènements et aussi de l’excédent du fonds de réserve, lorsque celui-ci dépasse la somme que la prudence exige de conserver.

Ainsi perfectionnée, là gestion de l’assurance par des mutualités n’est plus inférieure au mode d’assurance à prime fixe ; bien plus, il présente sur ce dernier mode des avantages réels, au premier rang desquels il faut ranger une réduction très considérable sur le prix de l’assurance ou plutôt la production de la sécurité au prix coûtant. On peut dire qu’ainsi organisée, et moyennant une gestion prudente et consciencieuse, la mutualité réalise l’idéal de l’assurance.