messes, avait bien soigneusement suspendu ses leçons le jour de Pâques dernier, afin sans doute de pouvoir vaquer à ses dévotions. Il m’a rappelé un boucher du village que j’habitais. Ce boucher était le président du comité révolutionnaire de l’endroit ; c’est lui qui a brisé tous les saints, ravagé la sacristie, porté la terreur dans le village : maintenant il y dit la messe.
Mais revenons aux pauvres enfants dont je plaide la cause.
Lorsque le temps le permet, on ordonne à ces petits infortunés de sortir tous les bancs de l’école ; on les fait asseoir sur deux colonnes dans la rue, de chaque côté de la porte, et on les fait chanter des airs patriotiques. Du temps d’Hébert, c’était des chansons du père Duchéne ; sous Robespierre, c’était l’Hymne à l’Être Suprême ; et maintenant ce sont des chansons contre les Jacobins. Tous les enfants sont obligés de chanter, qu’ils en aient envie ou non, qu’ils sachent l’air ou qu’ils ne le sachent pas. Il en résulte un charivari propre à leur fausser les oreilles jusqu’à la fin de leurs jours, et à écorcher, en attendant, toutes celles du voisinage. Si quelque petit garçon cesse un instant de brailler, alors l’homme d’une voix de porte-clés : Que fais-tu là, toué ? attends, petit Robespierre, je vais te faire guillotiner. Si une des jeunes filles s’interrompt, c’est alors la femme qui lui dit : Chante donc, petite b… sse ; et alors on les entend chanter et pleurer tout à la fois.
Cet exercice fini, on permet aux enfants de se divertir ; mais quel est le lieu de leurs récréations ? la rue. Ils ont pour limites, en face, le ruisseau, et de chaque côté, les immondices des deux maisons voisines : c’est là qu’ils peuvent s’ébattre à leur aise dans la boue. Mais que leur naturel est heureux ! Ils trouvent encore de quoi s’amuser dans cet étroit et dégoûtant gymnase ; et le bruit de leurs jeux vient troubler les méditations des voisins, s’il en est qui méditent.
Tous les soirs, lorsque les élèves sont retournés chez leurs parents, le maître et la maîtresse d’école, n’ayant plus personne à battre, se battent l’un l’autre, et afin que personne n’ignore leurs bonnes qualités, ils ont soin d’assaisonner leurs coups d’invectives : la femme appelle son mari ivrogne, le mari l’appelle diablesse ; et tout le voisinage applaudit par les fenêtres.
Je leur pardonne de se traiter ainsi, mais je ne m’accoutumerai jamais à les voir traiter de même les pauvres petits qu’on leur confie. L’autre jour, en rentrant chez moi, je passai devant leur porte au moment où le magister en colère déployait de droite et de gauche son bras nerveux au milieu de son école, Pourquoi, lui dis-je avec un mouvement de colère, pourquoi maltraitez-vous ces enfants ? — Ce ne sont pas vos affaires. — Mais vous outragez la société ! ajoutai-je. — La société ! répondit-il, en haussant les épaules d’un air qui signifiait qu’il ne sa-