Page:Say - Œuvres diverses.djvu/650

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

folles passions dont les animaux sont l’objet ; mais bien fou qui veut se mêler de corriger le monde.


LETTRE DE BONIFACE VÉRIDICK
sur son voisin le maître d’école.

Frimaire an iii (1794).

Ah ! scélérat, bourreau de maître d’école ! quelle éducation donnes-tu à ces enfants !

Excusez-moi, citoyens auteurs de la Décade ; excusez mon transport : vous le partageriez, si vous étiez à la place d’où je vous écris. Figurez-vous que j’ai sous mes yeux, en face de ma fenêtre, de l’autre côté de la rue, un antre de Polyphème, un bagne de galériens, une… je ne sais comment qualifier cette malheureuse école. Que suis-je venu faire à Paris ! Pourquoi faut-il que j’aie rencontré un si mauvais voisinage ? Mais quoi ! n’aurai-je ailleurs aucun sujet de douleur ?

Voulez-vous savoir ce que c’est que l’école qui est sous ma fenêtre ? je vais vous l’apprendre. C’était auparavant, m’a-t-on dit, dans le quartier, la boutique d’une fruitière ; boutique fort étroite, et diminuée de moitié par une soupente où l’on ne peut pas se tenir debout. C’est là que s’est établi le maître d’école qui fait mon tourment. On lui amène tous les matins ses petites victimes des deux sexes, et malgré des pleurs et des grincements de dents, on les lui laisse.

Il place les garçons au rez-de-chaussée, les filles dans la soupente, et entasse, je ne sais comment, une soixantaine d’enfants dans un endroit où six personnes ne sauraient se tenir à l’aise. C’est alors que cet homme, qui ressemble à un comité révolutionnaire, de concert avec sa femme et sa cuisinière, commence l’éducation de ses élèves. Ils se partagent la besogne : l’un se charge de montrer les leçons, l’autre de les faire réciter, l’autre de donner les coups ; car les coups entrent pour un tiers dans leur éducation ; et ne croyez pas que ce soient des coups de verges ; les verges coûtent trop cher : ce sont des coups de poing, et c’est ordinairement le mari qui se charge de cette besogne.

Telles sont les manières engageantes à l’aide desquelles on leur fait réciter les Droits de l’Homme et la Constitution républicaine qu’ils comprendront à peine dans dix ans, comme jadis on leur faisait apprendre le catéchisme qu’ils ne comprenaient jamais. Je ne suis pas même bien certain que mon maître d’école ne leur enseigne pas le catéchisme : car cet homme, qui dénonçait, il y a un an, les pauvres amateurs de