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blic les mesures devenues nécessaires. On devait donc faire une nouvelle édition du Traité et en faire un livre de circonstance. Le maître ne manqua pas d’insister sur ses intentions, mais il n’est guère probable qu’il ait conservé un, bon souvenir de la conférence ; le disciple manquait d’une souplesse d’esprit trop générale pourtant à cette époque ; les convictions étaient chez lui le résultat d’études sérieuses, et sa conscience était intraitable.

Il ne tarda pas à être éliminé du Tribunat ; mais, par une de ces contradictions fréquentes chez ceux qui ont le pouvoir, et qu’explique suffisamment le désir de faire, taire toute récrimination de sa part, il put lire en même temps dans le Moniteur sa nomination aux fonctions de directeur des droits réunis. Père de quatre enfants, n’ayant point de fortune, il semblait que ce fût pour lui une nécessité d’accepter cette position : il refusa cependant ; sa conscience lui interdisait de concourir à l’application d’un système qu’il jugeait devoir être funeste à la France.

La seconde édition du Traité était prête, que déjà il n’était plus possible de l’imprimer ; l’éditeur avait été mandé à la direction de la librairie pour y recevoir l’injonction de s’abstenir d’une telle publication. Le premier Consul allait devenir un empereur tout-puissant ; sa police inquisitoriale menaçait tout homme consciencieux et d’un esprit indépendant. L’auteur se vit obligé de cacher son manuscrit comme une mauvaise action, appréhendant chaque jour d’être persécuté pour le bien qu’il voulait faire, et devoir, sous le règne du mensonge, des vérités utiles punies comme tentatives séditieuses.

S’étant volontairement interdit la carrière des fonctions publiques, la force imposant silence à la raison et enchaînant la presse, il ne restait d’autre ressource, pour faire vivre sa famille, que de se reporter vers le commerce ou l’industrie. M. Say fit un voyage à Sedan pour chercher à s’intéresser dans une fabrique de draps, et poussa ensuite jusqu’à Genève, afin de revoir une tante, sœur de son père, femme d’un esprit solide, dont les conseils lui avaient toujours été utiles.

Il fut, à cette occasion, invité chez M. Necker à Copet. Mme de Staël fut charmante, comme elle était toujours en société. La vénération qu’elle portait à son père répandait en sa présence, sur les saillies de son esprit, un certain voile transparent, qui, sans les déguiser, en adoucissait les tons trop brusques et leur donnait un nouvel attrait, Benjamin Constant y était, et son esprit mordant participait des mêmes agréments ; aussi la conversation fut — elle constamment vive et variée. On arriva naturellement à parler sur les finances, et le maitre de la maison parut écouter avec grand plaisir notre économiste ; on en était à M. de Calonne : « Suivant M. de Calonne, ajouta Jean-Baptiste Say, il y a deux sortes d’économie : celle de M. Necker qui consiste à épargner, et la sienne qui consiste à jeter l’argent par les fenêtres. » Et en effet, si ce ne sont les paroles du