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toucher sa prime de rengagement régale, et ton ami n’en saura rien.

Dans un coin de la salle étaient assises, sur des barils de salaison, la grande Angèle et Juliette que, pour ses mœurs et sa pâleur défaite, ses robes de la ville, les officiers avaient surnommée la « demoiselle pourrie ». Angèle, par contre, était demeurée Ouessantine ; mais elle avait épousé un charpentier venu à Ouessant lors des travaux du fort, un ivrogne qui l’avait perdue. Jadis, elle avait joui d’une grande réputation d’honnêteté. Maintenant, elle était à qui voulait la prendre, et longue et mince, avec une tête d’une pureté céleste nimbée de cheveux d’or, des yeux d’un bleu très tendre, seulement désavantagée par des mains et des poignets trop forts qui disaient les travaux auxquels elle avait abaissé sa beauté, elle profanait avec un sourire dissolu un corps admirable auquel nul homme un peu délicat n’aurait voulu toucher.

Les fillettes de Mme Reuter, apercevant Barba, l’accapèrent, tandis que Juliette, jalouse de Barba — elle ne comprenait pas comment Herment avait pu dédaigner ses grâces civilisées — s’employait à persuader Angèle qu’Herment pensait beaucoup de bien d’elle.