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dans les poulaillers des voisinages et faisait trembler les vitres de toutes les maisons, parvint jusqu’à ses oreilles. Le Marchais, un ancien soldat établi dans l’île, venait de réaliser une idée géniale. Pour concurrencer les débitants, il avait acheté une voiture sur laquelle il charriait un tonneau de trois-six. Et maintenant, il allait porter l’alcool à domicile, sollicitant l’acheteur, éveillant les désirs par sa trompe damnée qui lançait à travers champs comme une invite à boire, excitant la soif chez celles qui travaillaient. Quand on n’allait pas à lui, il entrait dans les chaumières, le verre en main, et offrait la liqueur tentatrice. Pour lui, aussi, tout était bon si l’argent faisait défaut : la laine filée ou non, le poisson ou quelques boisseaux de blé, des bijoux ou des instruments de travail.

Véritable progrès !... Et maintenant, il y avait des hameaux que son apparition tirait seule d’une torpeur mortelle, des seuils où de jeunes îliennes au regard égaré se tenaient accroupies, attendant le passage du sauveur pour se traîner à ses pieds, implorant l’eau du parfait bonheur.

Salomé ne buvait pas. Et ce jour-là, pourtant, elle se fit emplir une demi-bouteille, cherchant l’ivresse, — et elle la vida sans l’avoir trouvée.