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d’un cri rauque, Rose activait sa vache qu’elle abandonna enfin dans un champ.

C’est en 1906 que je lui fis cette visite. Rose avait alors quarante-trois ans. Jamais, m’expliqua-t-elle, elle n’eut le temps d’aller à l’école, « obligée pour gagner son pain ». C’est ce qui explique l’incorrection de son langage, en contraste avec le français très pur que parlent ici les îliennes. Elle est née à Toul al lan, d’une famille de sept enfants, trois frères et quatre sœurs. Sa mère vit encore. Son père, un marin-pêcheur, s’est noyé dans la baie de Postoun, à la pointe de Feunteim Velen. Rose a aussi perdu un frère, ancien quartier-maître, tombé à la mer, alors qu’il était matelot sur un bateau pilote. Ses deux autres frères naviguent et toutes ses sœurs habitent l’île.

Très jeune, Rose s’engagea comme bonne chez un pilote de Lan Pol. Elle resta pendant vingt-trois ans à son service. De là, elle fut employée neuf années dans une autre maison. Ces détails expliquent une situation précaire. À Ouessant, en effet, la domesticité est tout à fait anormale.

Elle avait quitté sa dernière place et vivait à Toul al lan chez sa mère, quand survint le naufrage du Vesper.