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LA TOUR DE LA LANTERNE.

mettre à tante Minette de faire entendre encore ses deux dernières recommandations :

« Reviens bien ce soir Rigobert. Pas de plaisanterie ! Ne Le laisse pas entortiller par les engageantes invitations de notre bonne vieille tante ou les machinations d’Élodie pour vous garder à coucher.

— N’oublie pas surtout le bouquet dans la voiture, comme au dernier voyage !

— Sois tranquille, répondit en riant l’oncle Rigobert, nous reviendrons après dîner dans la soirée, et c’est Liette qui se chargera d’offrir de ta part le bouquet à Élodie, n’est-ce pas fillette ? »

Rouillard leva son fouet et la voiture partit, tandis que Liette criait à tante Minette d’un ton raisonnable : « Sois sans inquiétude ! »

Au fait ! tante Minette pouvait être tranquille. Est-ce que tonton Rigobert ne lui avait pas demandé : « Veux tu que nous allions ensemble à Marennes ? » Ce qui revenait à dire : « Nous serons deux pour faire ce voyage. « Donc Liette serait là, elle y comptait bien pour rappeler, au bon moment, les recommandations finales.

« Pas de plaisanterie ! » avait encore dit tante Minette. Non, c’était chose convenue, on n’en ferait point.

Cette journée de mai était superbe. Il faisait chaud assurément, mais Liette ne se plaignit ni de la poussière, ai de l’ardent soleil ; et comme elle était arrivée au paroxysme du bonheur, ses sensations et ses sentiments, légèrement surexcités, lui faisaient tout voir couleur de rose.

Ainsi la route, nouvellement refaite en cailloux de silex fins, lui parut tellement douce qu’elle pensait suivre une allée des Gerbies.

Les feuilles des peupliers et des trembles, qui la bordaient, bruissaient joyeusement sous leur passage, comme pour la saluer.

Et la rencontre de deux ou trois mendiants, leur besace sur le dos, ne provoqua pas ce jour-là son habituelle impression peureuse. Comme elle leur trouvait, au contraire, une tournure martiale, un air satisfait, elle eut la pensée amusante qu’elle croisait