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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Les cerisiers, couverts de touffes de petites roses blanches et rouges, donnaient en ce moment à celle allée, par ce gai soleil d’avril, l’aspect d’un riant jardin.

Liette faisait courir son cerceau aussi vile que le permettaient ses jambes redevenues agiles. Le teint animé, la chevelure au vent, elle était bien jolie, Liette, en arrivant à l’extrémité de l’allée, et elle la remonta sans remarquer, à quelques pas de la haie, une roulotte de romanichels, arrêtée sous un ormeau de la route. Un pauvre âne, maigre et piteux, broutait l’herbe rare du chemin, tandis qu’une femme en haillons, un homme et un jeune garçon, assis à quelque distance, taillaient avec leurs couteaux de grands brins de joncs nouvellement coupés dans les fossés des environs.

Lorsque Liette, pour la seconde fois, apparut à la barrière, elle s’arrêta stupéfaite d’entendre à deux pas d’elle le braiment de l’âne, mis de bonne humeur, sans doute, par son modeste repas. Ses yeux se tournèrent vers le groupe qui parlait un langage incompréhensible. Son regard et celui de la femme se croisèrent, et l’œil de celle-ci était si perçant et si impérieux que l’enfant en prit peur. Elle s’esquiva au plus vite vers la maison, certaine histoire de Botte lui revenant subitement à la mémoire, où il était question d’une fillette, volée par des saltimbanques, et qui mourut de misère et de chagrin, sans avoir revu sa famille.

« J’ai bien fait, pensait-elle tout haut, de fuir ces brigands ; qui sait ce qu’ils m’auraient fait ? »

Mais, curieuse de caractère et se sentant, après tout, en sécurité derrière le clôture, elle redescendit à petits pas l’allée et vint, un peu craintive, considérer de près les bohémiens. Cette fois ils n’étaient plus seuls.

Un homme d’un certain âge, une meule de rémouleur passée dans un bâton qu’il portait sur l’épaule, causait avec eux.

Quel marché passaient-ils ensemble ?

Leurs couteaux ne coupaient sans doute pas bien, puisque le vieux rémouleur, mettant sa roue à terre, les prit l’un après l’autre et les fit glisser avec soin sur sa meule.