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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Mme Baude était partie depuis une quinzaine de jours, et Liette jouissait de ce charmant séjour, lorsqu’un soir, au moment de se mettre à table, on entendit le roulement d’une voiture dans l’avenue.

L’oreille très exercée de tante Minette reconnut tout de suite quel était le visiteur.

« C’est Jean ! s’écria-t-elle.

— Déjà ! murmara tonton Rigobert.

— Il y a un moyen bien simple de s’en assurer, dit grand-papa, c’est de regarder.

— On le verra toujours assez tôt, reprit en soupirant tante Minette. Attendons-le les pieds sous la table. Mélanie ! servez-nous promptement. »

Mélanie apporta la soupière ; et chacun commençait son potage, lorsque la porte vitrée, donnant sur l’avenue, s’ouvrit soudain. Un homme de haute taille, comme tous les Baude, parut l’air autoritaire, barbu, vêtu d’une ample redingote. Il enleva son chapeau haut de forme en entrant, embrassa son père, sa sœur et son frère, et s’adressant à l’enfant qu’il n’avait vue que toute petite, il dit d’un ton bourru :

« C’est, sans doute, la petite fille de Pierre ? » et sur la réponse affirmative de tante Minette, il ajouta goguenard :

« Quelle idée de lui laisser les cheveux sur les épaules en Madeleine pleureuse ! Ce sont bien là les idées saugrenues de madame sa grand’mère, à laquelle, du reste, elle ressemble comme deux gouttes d’eau.

— Je ne suis pas de ton avis, reprit grand-papa. C’est le portrait vivant de ma pauvre femme.

— Ah ! non par exemple ! elle n’a rien, rien de ma mère, cette moujasse ficelée à quatre épingles, comme une poupée. Allons, mettons-nous à table. J’ai une faim de loup ! »

Liette eut le cœur tout gros de cette réception peu cordiale. Comme elle n’était pas habituée à se sentir rabrouée, quand elle disait bonjour, elle baissa le nez dans son assiette, tout intlimidée de ce ton tranchant.